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Critique de DianaAuzou


L'histoire conçue comme un suspense est bien plus que ça. le joueur d'échecs champion du monde est au centre de l'histoire, et de l'étonnement général, par son ascension rapide et surtout par sa stupidité, sa sottise, sa suffisance, son arrogance. Mais tout change, lors d'une croisière, quand un inconnu, Monsieur B, arrivé de nulle part, met en échecs le champion. Suspense et attente, pendant lesquels l'auteur nous emmène vers deux passés, celui du champion et celui du joueur mystérieux.
Un huit clos, "s'ouvre" au lecteur, celui de Monsieur B, enfermé pendant de longs mois dans une cellule exiguë, sans échappatoire où la mort du cerveau arrivait à pas lents, silencieuse, et sans douleur physique, torture mortelle que les nazis infligeaient en échange des renseignements qu'ils voulaient obtenir. Solitude absolue, dévastatrice, questions qui reviennent sans cesse, dans les interrogatoires brutaux et vicieux : gouffre dans lequel tout espoir peut être anéanti. Double huis clos, la prison et le cerveau, et la folie s'en réjouit. Tout est fragile et peut se fracasser pour retourner en poussière. le vide de tout est angoissant et empêche le cerveau de penser. Apprendre 150 parties d'échecs par coeur pour empêcher l'aliénation. Que faire ensuite ? Il ne peut plus refaire des parties qu'il connaît par coeur à l'infini. Il essaie alors de jouer contre un adversaire qui est l'autre lui-même : "Comment un seul et même cerveau pourrait-il à la fois savoir et ne pas savoir quel but il se propose et, en jouant avec les blancs, oublier sur commande son intention et ses plans faits la minute précédente avec les noirs ? Un pareil dédoublement de la pensée suppose un dédoublement complet de la conscience, une capacité d'isoler à volonté certaines fonctions du cerveau, comme s'il s'agissait d'un appareil mécanique." Jusqu'à quand pourra-t-il tenir ? Ce jeu absurde contre lui-même devient une drogue et l'homme perd la raison. "Il y avait un homme en moi qui voulait à tout prix avoir raison, mais il ne pouvait s'en prendre qu'à cet autre moi contre qui je jouais."
Analyse fine et poignante du conscient et de l'inconscient humain dont les réactions restent un suspense car elles peuvent aller au-delà de l'extrême, l'extrême de l'horreur comme l'extrême du sublime.
Dans moins de 200 pages , Stefan Zweig analyse un esprit, accuse une monstruosité et nous laisse, hors du temps, une écriture puissante d'une grande beauté, une réflexion profonde sur la capacité extraordinaire que possède l'homme pour la construction comme pour la destruction. L'intelligence, l'esprit se confondent ici avec l'âme, l'émotion, la sensibilité, et la force de l'écriture donne la force du récit dont le style est travaillé jusqu'au plus grand raffinement.
Le joueur d'échecs, livre testament, est le dernier avant le suicide de Stefan Zweig et de sa femme devant le désastre de l'Autriche sous la barbarie du nazisme.
Dans la lettre qu'il a laissée juste avant son suicide, Stefan Zweig disait : "J'estime préférable de mettre fin à temps et debout à une vie dans laquelle le travail de l'esprit a toujours été la joie la plus pure et la liberté personnelle le bien suprême sur cette terre. Je salue tous mes amis ! Puissent-ils voir l'aurore après la longue nuit ! Moi qui suis trop impatient, je m'en vais avant eux."
Il a payé le prix suprême.
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