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Critique de Worky


Worky
29 novembre 2012
Un récit enchâssé dans un autre récit, comme ça a déjà été dit, un morceau de grande histoire dans une petite histoire.
L'intrigue, si elle tient sans doute en moins de dix lignes, n'en est pas moins bien menée. Elle hameçonne le lecteur et le tire jusqu'à la dernière page sans pouvoir refermer l'ouvrage. Sans doute le choix des échecs, jeu de réflexion et de stratégie à données complètes y est-il pour quelque chose. Sans doute les personnages, entourés de mystère et de non-dits, participent-ils aussi de cette atmosphère étrange.
Un huis-clos, la traversée en navire de New-York à Buenos-aires , abrite un autre huis-clos, le fumoir du bateau et son petit cercle d'amateurs d'échecs, ce qui est prétexte à un troisième huis-clos, encore plus complet : celui d'un homme qui, prisonnier d'une chambre d'hôtel sous le régime nazi, se retrouve prisonnier d'un jeu, les échecs, et puis prisonnier dans son propre esprit, condamné à s'affronter sans cesse à l'absurdité d'une partie de ce jeu contre lui-même. Il frôlera dangereusement la folie à se frotter des mois durant à ce court-circuit cérébral.

Mais plus que le récit, j'ai été frappée par la vision qu'un européen, autrichien de surcroit, juif, ayant fuit son pays d'origine avant que les choses sérieuses ne commencent vraiment, pouvait avoir de cette époque et de la réalité du régime nazi.
Il évoque le système concentrationnaire quand il parle d'être contraint à travailler dans une carrière de pierre, dans le froid, sous les coups de bâtons, mais à la lecture de ce court roman, j'ai eu l'impression que Zweig, comme la majorité des gens à cette époque, ignorait jusqu'à quel point le système nazi se proposait d'aller.
Aurait-il pu comparer la situation de son personnage, M.B., enfermé dans une chambre d'hôtel pendant quelques mois et soumis à la question, à celle des millions de juifs, hommes, femmes, enfants, assassinés à l'échelle industrielle ? Je ne saurais déterminer à quel point Zweig, par la pudeur et le caractère elliptique de son écriture, a choisi délibérément de passer sous silence l'abjecte horreur des faits nus pour se concentrer sur une forme épurée, allégorique mais suffisamment symptomatique de l'esprit et des méthodes nazis.
La fin est brutale. M.B. a trop se frotter à ses anciens démons frôle à nouveau la folie. le jeune champion démontre encore une fois sa bêtise : il se repaît de sa victoire qu'il ne doit qu'au fait que M.B. jouait 100 parties dans sa tête, contre lui-même, tandis que ledit champion peinait à se maintenir dans la seule qu'il avait devant lui. Ainsi la bêtise ne reconnaît ni la compétence, ni la supériorité d'autrui, ne comprend ni les démons ni les souffrances, ne se complait que dans la victoire, fut-elle usurpée.
Il me semble que le monde est maintenant plein de Czentovic : sportifs, hommes politiques, artistes même. Seule la victoire, synonyme de pouvoir et surtout d'avantages économiques, a valeur dans notre monde qu'on dit post-idéologique mais qui se révèle pourtant avoir une idéologie que plus personne ne contredit.
En moins de cent pages, Zweig balaye à la fois les totalitarismes et la sourde avidité à laquelle on donne aujourd'hui le nom de néo-libéralisme. Depuis 70 ans, Zweig et son joueur d'échecs hurlent sans que personne ne les écoute.
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