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Critique de Thrinecis


Passionnante biographie de Magellan par l'un des maîtres du genre qui s'ouvre par un des plus beaux incipit qu'il m'ait été donné de lire : à la fois court et simple mais riche d'une promesse d'aventures exotiques et de voyages au long cours !
Au commencement étaient les épices...

Avant d'introduire le portrait de Magellan, Stefan Zweig nous éclaire sur le contexte historique et géographique du monde en cette fin du Moyen-âge. Encore plongé dans l'obscurantisme, le monde a oublié les découvertes extraordinaires de Marco Polo trois siècles plus tôt. Les hommes sont devenus timorés, effrayés par leur propre ignorance qui voile les contours des terres et les limites des océans, les empêchant d'explorer. Pourtant en cette fin du XVème siècle, quelques navigateurs sont repartis à la conquête des océans et enfin un Génois vient d'accomplir un exploit : croyant découvrir les Indes, Christophe Colomb a traversé l'Atlantique et atteint l'Amérique ! C'est l'étincelle qui galvanise à nouveau les marins, les aventuriers, les commerçants et les seigneurs d'Europe qui se lancent dans de multiples expéditions pour conquérir de nouvelles terres. Afin d'éviter les conflits de possessions entre le Portugal et l'Espagne, le pape Alexandre VI, traçant une ligne de partage qui passe à l'Ouest des îles du Cap vert, divise le globe terrestre en 2 hémisphères égaux : à l'ouest de ce méridien, toutes les terres découvertes appartiendront à l'Espagne, à l'Est, elles deviendront des possessions du Portugal. Ce Traité de Tordesillas qui définit le partage du monde entre ses deux seuls pays d'Europe sera bien sûr contesté et suivi par de nombreux autres traités.

C'est dans ce contexte que Magellan débute sa carrière militaire, en tant que jeune soldat portugais de 24 ans embarquant en mars 1505 à bord de la flotte de l'amiral de Almeida dont l'objectif grandiose et orgueilleux est de conquérir l'Orient. Il aura l'opportunité de s'illustrer par son courage en sauvant son frère d'armes Francisco Serrão, se liant d'une amitié indéfectible à cet homme qui influencera fortement sa destinée en lui parlant des merveilles paradisiaques des Iles Moluques où il s'est installé.

Même si l'on sait peu de choses de Magellan avant qu'il n'accomplisse son exploit, les quelques épisodes connus de cette période de sa vie nous livrent le portrait d'un homme courageux, secret, discret, patient et entêté, capable de supporter les brimades mais pas oublieux des torts qui lui sont faits, en premier lieu ceux du roi Manoel, incapable de reconnaître sa bravoure et ses aptitudes.

Seule la deuxième moitié de cette biographie est consacrée à la fabuleuse circumnavigation de l'expédition de Magellan qui après avoir tenté de convaincre son roi, a trahi la Couronne portugaise, pour convaincre Charles Quint qu'il trouverait une nouvelle route des épices entre l'Atlantique et le Pacifique, qu'il atteindrait les Moluques et en ramènerait des vaisseaux chargés de tonnes de clous de girofle, muscade, poivre ou cannelle.

Pour avoir un récit détaillé, il vaut sans doute mieux lire le récit qu'en a fait Pigafetta, le chroniqueur qui accompagnait l'expédition : mais Stefan Zweig nous apprend que ce récit nous est parvenu incomplet, ayant été expurgé des passages pouvant mettre en cause les mutins. C'est donc une version plus résumée que je ne m'y attendais que nous livre Stefan Zweig. Qu'importe, le verbe est ciselé, la plume fluide, et l'on embarque bien volontiers le 20 septembre 1519 pour traverser l'océan Atlantique et chercher de nombreux mois durant le fameux passage qui permettra d'atteindre le Pacifique, pour assister aux traîtrises des capitaines espagnols envers Magellan, pour le voir douter de sa réussite... Mais l'homme est opiniâtre et s'entête à chercher, malgré l'hiver austral qui arrive les fouettant d'un vent glacé, malgré les provisions qui s'épuisent, malgré l'hostilité de la plupart de ses hommes qui voudraient tant rentrer chez eux au bout de ses longs mois d'expédition... Il explore méthodiquement chaque baie, chaque méandre des bras de mer qui s'enfoncent dans la terre...

Le récit est prenant, les difficultés affrontées par Magellan et ses hommes sont terrifiantes et l'on est totalement admiratif de la force de caractère, du courage et de la patience de l'explorateur qui lui ont permis d'échapper aux dangers de la mer, aux complots et à une mutinerie d'une partie de ses hommes, à la famine aussi. On ne peut qu'être impressionné aussi par le courage de tous ces hommes (même ceux qui le trahiront) qui l'ont accompagné dans cette aventure, à la merci d'une mer inconnue et dangereuse, de cartes approximatives et même carrément inexistantes après Rio de Janeiro, pour une durée inconnue, sans savoir s'ils reviendraient un jour en Europe.

Le passage enfin trouvé, le Pacifique enfin atteint, dix-neuf hommes meurent de faim et du scorbut. Après bien des souffrances, Magellan atteint son but, les Îles Moluques, mais il était écrit qu'il n'en profiterait guère, puisque moins d 'un mois après, il périt sous les coups de lance des indigènes excédés par le comportement violent des hommes d'équipage que Magellan n'a malheureusement pas su contenir.

Si le passage découvert par Magellan passera à la postérité, il ne s'avèrera finalement pas être la meilleure route pour rejoindre la Chine ou les Indes. Grâce à Pigafetta puis à Stefan Zweig, il nous reste le portrait d'un homme à la force d'âme incroyable, sombre, opiniâtre, dur mais jamais cruel, qui par sa volonté a réussi l'un des plus grands exploits de tous les temps.

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