AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lamifranz


S'il est au monde un être pour qui le mot poésie semble avoir été inventé, ce ne peut être que Paul Eluard. Notre littérature ne manque pas de poètes, et des plus grands, et le XXème siècle en particulier qui dans le sillage d'Apollinaire a vu germer une génération dorée avec Aragon, Eluard, Breton, Char, Desnos, Soupault et les autres surréalistes, autour desquels gravitent d'autres astres qui s'appellent Prévert, Queneau, d'autres encore plus solitaires qui s'appellent Supervielle, Michaux ou Ponge, le délicieux René-Guy Cadou, les attachants Fombeure et Norge...
Dans cette constellation, l'Etoile Eluard brille d'une lumière particulière. La poésie d'Eluard ne se mesure pas, elle ne s'évalue pas, elle est toute entière du domaine de la perception, de la sensation. le poète ne parle pas, il chante, le lecteur ne lit pas, il ressent, et les images viennent d'elles-mêmes danser devant ses yeux éblouis. Eluard rejoint la définition même de la poésie : il donne à voir. Témoin ce poème, l'un des plus beau de ce recueil :

LE JEU DE CONSTRUCTION

A Raymond Roussel

L'homme s'enfuit, le cheval tombe,
La porte ne peut pas s'ouvrir,
L'oiseau se tait, creusez sa tombe,
Le silence le fait mourir.

Un papillon sur une branche
Attend patiemment l'hiver,
Son coeur est lourd, la branche penche,
La branche se plie comme un ver.

Pourquoi pleurer la fleur séchée
Et pourquoi pleurer les lilas ?
Pourquoi pleurer la rose d'ambre ?

Pourquoi pleurer la pensée tendre ?
Pourquoi chercher la fleur cachée
Si l'on n'a pas de récompense ?

- Mais pour ça, ça et ça.

(Capitale de la douleur – 1926)

Capitale de la douleur paraît en 1926. La douleur qui étreint le poète, c'est l'amour de Gala sa femme qui semble lui échapper. Elle vit avec le peintre Max Ernst en attendant de refaire sa vie avec Salvador Dali dont elle deviendra la muse et le modèle - ce qu'elle a déjà été pour Eluard, et pour Ernst. La douleur traverse le recueil et se découvre en filigrane à chaque poème. Avec des mots d'une simplicité limpide mais riches en images, Eluard nous confie sa souffrance, qui n'est pas amertume, ni jalousie, ni ressentiment, mais seulement blessure : l'avant-dernier poème du recueil, peut-être le plus beau, montre à la fois une certaine résignation et la permanence de l'amour perdu.

LA COURBE DE TES YEUX
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Paul Eluard, Capitale de la douleur, 1926
La musique douce d'Eluard s'accompagne toujours d'images. On notera également que le recueil fait aussi une grande place aux peintres : Max Ernst, Giorgio de Chirico, Georges Braque, Joan Miro...
Correspondance secrète entre l'art et la poésie où l'amour, heureux ou malheureux, fait le pont...



Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}