Nous ne voulons pas vraiment savoir ce que les soldats endurent au combat. Nous ne voulons pas vraiment savoir combien d'enfants sont maltraités dans notre société, ni combien de couples - près d'un tiers - sombrent un jour dans la violence. Nous préférons penser que la famille est un havre protecteur dans un monde sans coeur et que notre pays est peuplé de gens éclairés et civilisés.
Nous avons découvert qu'amener des traumatisés à trouver les mots pour décrire ce qui leur est arrivé les aide significativement - toutefois, en général, cela ne suffit pas. Le fait de raconter l'histoire ne change pas forcément les réactions automatiques, physiques et hormonales, d'organismes qui restent hypervigilants, prêts à être agressés ou violés à tout moment. Pour qu'il y ait un vrai changement, le corps doit réaliser que le danger est passé et apprendre à vivre dans le présent.
Nombre de comportements qui passent pour des problèmes psychiatriques - dont certaines obsessions, compulsions et crises de panique, ainsi que la plupart des conduites autodestructrices - ont été initialement des tactiques d'autodéfense.
Les symptômes somatiques sans cause physique flagrante sont omniprésents chez les traumatisés, les adultes comme les enfants : migraines, fibromyalgie, problèmes digestifs, dyspnée, douleurs cervicales ou lombaires chroniques, spasmes/syndrome du côlon irritable, fatigue chronique -la liste est longue. Chez les enfants traumatisés, le taux d'asthme est cinquante fois plus élevé que chez les autres.
Nous étions confrontés à deux grands défis : le premier consistait à découvrir si la vision du monde des enfants non traumatisés pouvait expliquer leur résilience et, plus profondément, à apprendre comment chaque enfant crée sa carte du monde. L'autre, tout aussi crucial, tenait en une question : peut-on agir sur le cerveau et sur l'esprit des enfants brutalisés pour les aider à redresser leur carte intérieure et à y intégrer une confiance dans l'avenir ?
Avec le temps, j'en suis venu à comprendre que la seule chose qui permet de soigner les traumatisés, c'est un respect admiratif pour l'instinct de survie grâce auquel ils ont supporté les coups, puis enduré les sombres nuits de l'âme qui jalonnent inévitablement la route de la guérison.
Le traumatisme engendre le traumatisme ; les hommes blessés blessent d'autres hommes.
La plupart des enseignants avec qui nous travaillons sont étonnés d'apprendre que, pour les élèves maltraités et négligés, toute rupture de la routine fait souvent figure de danger et que leurs réactions extrêmes sont généralement l'expression d'un stress traumatique.
Pour surmonter un traumatisme, il est aussi important de se rappeler les moyens qu'on a déployé pour survivre que d'analyser ce qui a été brisé en soi.
Les plus grandes sources de nos souffrances sont les mensonges qu'on se racontent.