Avant de livrer ma critique du tome final, de celui de l'accomplissement de l'acte tragique, un mot sur la couverture : Médée est, contrairement à celle des autres tomes, face à nous, et le sang la tâche davantage. Par des indices tels les signaux du tome 3, la connaissance du mythe, et cette couverture, je m'attends à un tome tragique, et mes attentes sont hautes. Lisons désormais le tome.
Il se divise en deux parties, la première tragique et pleine d'action, avec l'essentiel du mythe de Médée, la seconde plus lente et contemplative. La fin m'a émue, le premier livre est puissant, seul le début du deuxième livre présente quelques longueurs. Violant dans l'ensemble, avec les esclaves par exemple, à la fois tragique et réaliste, le tome commençait bien pour notre couple, montrant une princesse épouse et mère de famille, dans une belle ville pastel (Corinthe). Mais assez vite, le ton violet de la magicienne reprend le dessus et les morts s'additionnent. La culture grecque (ex. le symbolon, la mention de l'âge d'or et de l'âge de fer) recontextualisent le tome et mettent un peu de distance.
Et heureusement, car le livre 1 est celui qui nous tient le plus en haleine. EN fait, on (le lecteur et Médée) aurait préféré que la tragédie se termine ainsi, car la mort aurait été délivrance. Mais non, l'histoire qui suit est tout aussi longue : comment vivre après la tragédie ? Les souvenirs deviennent châtiments.
Ce livre, c'est aussi une analyse du mythe et de sa réception : la rumeur et l'image, qui amplifient les meurtres de Médée, justifient qu'elle écrive sa version, c'est même la justification de la série. On a donc une série cohérente, avec un objet, des thèses, et un dessin de qualité au service du propos. Cela étant dit : Je n'ai pas vraiment été convaincue par l'argument de Médée qui consiste à dire qu'il existe bien d'autres meurtres. Cela me rappelle une forme de "whataboutism". Ce qui fait qu'une histoire entre en mémoire plutôt qu'une autre est ressenti comme injuste, et en toute modestie je pense qu'il aurait été plus intéressant d'établir un parallèle entre l'oubli et la mort. de même que Médée s'attend à mourir mais vit une vie prolongée, elle s'attend à être oubliée et devient un mythe. C'est assez ironique et ça aurait évité l'écueil de "mais arrêtez de me juger !" qui m'a un peu agacée.
J'avais oublié d'en parler, mais j'ai apprécié la représentation du corps féminin, notamment quand Médée est enceinte ou accouche.
Commenter  J’apprécie         30
L'épouse barbare, troisième tome de la série, montre une Médée plus magicienne que jamais, rusée et conspiratrice. Le parti pris est d'avoir fait de l'épisode de l'attelage des dragons de simples rumeurs, ce qui permet de se moquer de la naïveté des gens (idem pour les centaures et la fausse transformation d'un bélier en agneau).
La bande dessinée ayant pour thème une histoire déjà connue, l'attente réside donc dans le traitement.
On sait que Médée, à partir d'un chaudron et d'un bélier, fait croire aux filles de Pélias qu'il leur faut assassiner leur père pour le faire rajeunir : on attend donc cet épisode, et on l'apprécie. Le contraste entre les quatre princesses, grecques, blanches, grasses et peu éduquées, et Médée, barbare, colorée, fine et trop savante, se reflète dans le dessin, d'aussi bonne qualité que dans les autres tomes.
C'est là tout le sujet du livre : l'altérité, puisque Médée est une barbare chez les Grecs. Davantage antagoniste, on est loin de l'adolescente espiègle du premier tome. Non, elle use deux fois de la ruse, et "fait croire" deux fois. (si vous êtes préparationnaires en sciences en 2024, ça doit vous rappeler quelque chose).
La première, c'est lors de la scène du chaudron. La rancœur d'Alceste, muette, constitue un horizon d'attente. La deuxième intervient à la fin : Médée promet à Jason de s'assimiler en n'utilisant plus ses pouvoirs .
On n'ignore pas que Médée commettra un infanticide dans le tome suivant, et l'on se demande quel sera le traitement. Comme sur toutes les couvertures de cette tétralogie, Médée a du sang sur les mains.
Commenter  J’apprécie         20
J'ai retrouvé le ton violet, orangé et brun de cette bande dessinée. Le dessin narre bien la mort d'un taureau en trois cases et si vous vous demandiez à quoi ressemblent les Argonautes, vous y verrez la réponse. Ce tome est plus dramatique que le premier, qui servait d'exposition. J'aime la façon dont le "coup de foudre" de Médée, qui demeure fière, et loin du cliché de l'amoureuse de l'amoureuse transie, est raconté.
Evidemment, il y a des partis pris sur le traitement de l'action et des personnages. Les Argonautes y sont dépeints d'une certaine façon comme des brutes , on aperçoit Orphée et sa lyre. La nourrice y est plus tendre. Le roi et son fils y sont décrits l'un comme davantage fou et cruel, l'autre comme aussi handicapé que dans le premier tome. Jason est un "beau ténébreux", qui conclut des marchés et échange gloire et amour. Son attitude où il se vante, prenant pour lui les exploits de Médée, préfigure une suite sanglante, et tragique, la rancœur de Médée montant.
J'aimerais, maintenant que l'action est mise en place, commenter une scène vers la fin, je mets évidemment un spoiler : la mort du frère. Je me demande, sachant que dans le mythe Médée le découpe en morceau pour se tirer d'affaire, et que dans la BD, c'est un handicapé mental (j'ignore s'il l'était dans le mythe), comment ces deux éléments seraient reliés, en clair comment ce meurtre serait traité. Le parti pris ici (c'est une déformation du mythe) est qu'Absyrtos se tue par accident et que les Argonautes le découpent en morceau, après s'être moqués de ce pauvre "idiot". Ce choix scénaristique absout Médée, mais il a le mérite de ne pas verser dans le validisme et surtout de garder la cohérence de l'action -car si Médée avait voulu tuer son frère, il aurait fallu montrer des indices de cette volonté plus tôt dans l'œuvre. Et l'unique mot prononcé par ce Prince jusque là muet, "père", et le renoncement à poursuivre les "héros" (pour récupérer les morceaux de la dépouille du frère= est sans doute la dernière marque d'humanité chez ce tyran.
Voilà, parenthèse un peu longue, mais cette fois le dessin se fait moins naïf, et j'attribue à ce tome la note de cinq étoiles. Ce "ton violet", cette couleur magique et tragique, prend davantage de profondeur que le tome précédent (exposition) qui en comparaison était un peu long pour peu d'évènement.
A quoi bon l'héroisme ? Et le tragique ne se loge t il pas dans les passions humaines? Ces questions qui sont déjà des réponses se posent à cette lecture. Je lirai le suivant, au sujet du couple Médée -Jason, avec de hautes attentes, en les espérant justifiées.
Commenter  J’apprécie         20
BD rime avec Médée, la magicienne ayant pour lointaine tante Hécate et pour grand père le Soleil. Les couleurs pastelles sont d'une grande douceur, et le dessin, rond et beau. Je lis peu de bande dessinée et ai vu cette série par hasard à la bibliothèque, mon goût pour la mythologie me convainquit de l'ouvrir.
Ce premier tome montre deux vieillardes rentrant chez elles. La première, Chloé, est une vieille nourrice à l'agonie. La seconde, Médée, revient sur son passé, c'est la narratrice.
Analepse : ce tome raconte l'enfance et l'adolescence de Médée, initiée aux mystères d'Hécate. Sympathique fillette puis adolescente amoureuse de la liberté, "l'ombre d'Hécate" est à mille lieux de la terrible héroïne cornélienne. Si l'on devait parler de personnage inquiétant, le titre reviendrait au père Aietes, homme ambitieux et voulant tout comprendre, et cruel. Médée a aussi un frère, chétif physiquement et mentalement, et la tension entre "il faut l'éduquer normalement" et "il ne sera jamais comme les autres" n'est pas sans rappeler des débats contemporains.
C'était mystérieux, agréable à lire, et cela soulève des questions sur l'altérité, un thème cher à la scénariste qui est aussi chercheuse. Je lirai les tomes suivants.
Commenter  J’apprécie         30