Parmi les maîtres, combien ont disparu! Delacroix, Ingres, Rousseau, Corot, Courbet, Millet, Diaz, Ricard, Fromentin, Tassaërt, Michel, Daubigny, Henri Regnault, Alphonse de Neuville, Louis Leloir, Chintreuil, Lehmann, Bastien Lepage, Gustave Doré, Guillaumet, hier encore Paul Baudry, ce grand et infatigable artiste qui ne devait se reposer que dans la mort et dans la gloire. Ah ! l'école française est bien vivace et bien puissante puisqu'elle a subi de pareilles pertes sinon sans s'affaiblir du moins sans déchoir.
M. Georges Rochegrosse a montré à ses débuts, dans l'Andromaque, de grandes qualités de technique ; la couleur vibrante, l'accent du modelé, la largeur de la touche. Il a manifesté des mérites plus rares : le grandiose, le mouvement, le pathétique, le sentiment intense et personnel des époques disparues. La main qui fait le peintre ne manque pas dans notre école ; mais le cerveau qui fait le grand artiste. M. Rochegrosse n'a pas retrouvé avec ses Jacques et avec son Nabuchodonosor, le succès de l'Andromaque. Mais sa Salomé était bien charmante en son étrangeté ! Au reste, M. Georges Rochegrosse n'a pas encore trente ans. Il a le temps de retourner dans la Grèce épique et dans la Rome impériale qui l'avaient si bien inspiré.
M. Lhermitte donne à ses robustes paysans, modelés en vivant relief, la vérité et la grandeur. C est la nature interprétée par un artiste sincère et élevé. M. Lhermitte sait exprimer la noblesse du travail. Tant d'autres ne nous en montrent que l'avilissement.
Pourquoi les Grecs adoraient-ils le beau? Parce que leur religion était l'expression de la beauté sous toutes ses formes ; parce que, pour eux, beau était synonyme de divin. Pourquoi vénéraient-ils les artistes? parce que les artistes en faisant sortir des Dieux du marbre, ou en les créant par les couleurs, semblaient vivre sans cesse dans une communication intime avec les Divinités qui, dans une sorte de vision intellectuelle, apparaissaient à leur esprit ; parce que les artistes, autant que les poètes, furent presque les créateurs du polythéisme, qui, avant eux, n'existait que vague, diffus, sans caractère arrêté et sans forme précise.
Cette statuette représente une femme trèsgrande; elle après de huit têtes, comme les majestueux portraits de femme peints par Rubens. Sa haute taille, chose étonnante, ne lui enlève rien de sa grâce, ou pour employer le synonyme de grâce, — mot charmant pris à la langue si expressive du quinzième siècle,—de sa « vénusté». Elle paraît vingt-cinq ans. Ce n'est point à cet âge que nous nous figurons Aphrodite naissant au monde ; mais Apelles a une excuse : son modèle Phryné, l'hétaïre d'Athènes, que cependant il a beaucoup rajeunie.
Quelles nouvelles surprises, quelles autres leçons, quelles révélations charmantes ou splendides nous réservent, en 89, les écoles étrangères? Ce qui est certain, c est que, depuis trente ans, ces écoles vont sans cesse se fortifiant, et, qui n est pas moins certain, c'est que si, dans le même espace de temps, l'école française n'a peut-être pas décliné, elle n'a point cependant grandi.
M. Aimé Morot, lent à dégager sa personnalité des poncifs de l'Ecole, n'a été longtemps qu'un très remarquable élève. C'était un prix d'excellence qu 'il méritait quand on lui a décerné prématurément la médaille d'honneur. Mais depuis cette suprême récompense, que l 'on aurait pu lui faire attendre, ses figures nues et sa Charge de Rezonville l'ont classé parmi les jeunes maîtres.
Pour quiconque a étudié l'Art grec devant l'Art grec lui-même, les oeuvres de Phidias et d'Apelles ont pris leur rayonnement à la lumière de l'Olympe. De même que dans les autres nations de l'antiquité, la religion fut la cause de l'imperfection relative des arts d'imitation, de même en Grèce, le polythéisme fut la seule cause de la perfection irrêvable de l'art hellénique.
M. Duez et M. Henri Gervex ont tous deux donné des gages à l'impressionnisme. Ils ont été attirés par les procédés de cet art nouveau, que caractérisent l'exécution sommaire et l'éclairage diffus. Heureusement pour nous et pour eux, ils sont revenus à la peinture sérieuse et ils y ont apporté leurs belles et fortes qualités de don et d'acquit.