Elle avait voulu une table étincelante, un parfum de fête, une odeur de détente pour amener son invité à s'épancher, à se confier; vile manœuvre, mais sans méchante pensée, juste pour son enquête.
- J'ai découvert une chronique de l'Inquisition dans les archives de l'évêché, où une certaine dame guérisseuse de Saint-Jean-le-Pré, passée à la question et à l'épreuve de la cuve d'eau, aurait confessé avoir été en possession d'une croix magique, venue directement de Terre Sainte et dont elle se serait servie pour guérir moult personnes. Elle prétendait l'avoir dissimulée, mais même au plus fort de la question, elle ne dévoila pas la cachette.
Clarisse, placée sur le côté s'amusait à observer les visages des enfants, mais aussi celui des parents, qui pendant un moment , retrouvaient le monde merveilleux de l'imaginaire.
Certains s'en défendaient, pourtant, considérant que les contes devaient rester du domaine de l'enfance. Clarisse persistait à croire qu'ils étaient dans l'erreur et qu'à tout âge , nous avons besoin d'un peu d'évasion.
(Créer, réédition 2022)
" Demain la bibliothèque est fermée au public " - 194
( citation fermée aussi )
À la faveur de la nuit noire, il transporte le gros carton dans son antre.
Il sourit.
Le grand jour approche.
À la lueur d'une bougie, il contemple la boîte, en caresse le ruban.
Il n'ose l'ouvrir.
Il faut attendre.
Ferme les yeux, sa main tremble sous la douceur du ruban.
Doux comme sa peau.
Doux comme ce temps revenu.
34
La servitude lui avait appris à se délecter de chaque plaisir, si petit qu'il fût.
Elle allait envoyer Isabeau, travestie en ribaude, déambuler dans les tavernes pour semer le doute dans les esprits : ce défrichement n'était finalement pas une si bonne chose, un travail de Titan pour quelques terres de plus, encore du travail, pour finir par enrichir les moines et le seigneur. Un beau soulèvement de paysans ligués contre le château et l'abbaye ! Et elle, dame Brunehaut, qui viendrait apaiser les conscience et rétablir l'ordre...
Elle en souriait déjà, savourant son triomphe.
Au café « Le Petit Flore », c’était la consternation.
Sonia et Albert, les patrons, avaient beaucoup de mal à assurer le service. C’était jour de marché et la terrasse était bondée.
À leur arrivée à Manadieu, certains avaient prédit qu’ils ne tiendraient pas six mois. Des parisiens à la campagne ! En plus, une artiste… Et cette idée d’appeler leur café « Le Petit Flore » en référence au café parisien, café d’artistes. C’était bien là leur volonté. Ils avaient su insuffler au lieu une dynamique culturelle, accueillant des expositions, des concerts, des conférences, en bonne intelligence avec les actions déjà en place sur la commune et, entre autres, avec Clarisse la bibliothécaire. Pour accueillir ces manifestations, une pièce avait été aménagée avec des fauteuils et des tables basses, ouverte aussi à ceux qui souhaitaient un peu de calme et d’intimité.
Sonia peignait dans l’arrière-boutique de la salle du café, ses tableaux ornaient les murs, mais elle en expédiait aussi régulièrement dans une galerie parisienne où ils se vendaient bien. Lorsque Rose était venue se présenter, répondant à l’annonce de recherche d’un saisonnier, la peinture les avait aussitôt réunies. En deux mois, une belle complicité était née. Comme de nombreux étudiants, Rose travaillait parallèlement à ses études et le service au « Petit Flore » lui permettait de s’offrir des vacances à la campagne, tout en gagnant un peu d’argent.
Sonia était très affectée par la disparition de Rose, elle avait beaucoup de mal à se concentrer sur les commandes des clients. Derrière le bar, Albert lui aussi s’activait comme un automate.
Sous ses allures de rebelle, Rose était attachante : serviable, empathique, intelligente, elle s’était immédiatement intégrée à l’ambiance du café.
Elle venait juste de s'installer, la maison était telle que l'avait laissée ses parents.Ce soir- là, brusquement, le doute l'avait envahie.Avait-elle eu raison de quitter Paris, des collègues sympathiques, un appartement confortable, le bruit de la ville ? Le silence l'angoissait, le vide de la maison lui rappelait le vide de son existence (...)
Elle souffrait, déchirée par l'attente, par l'ignorance. Tout au fond, vraiment tout au fond de son âme, était la peur, animal sournois, tapi dans l'ombre, qu'elle s'efforçait de dompter. Elle savait pourtant qu'elle ne pourrait pas le tenir en respect éternellement. Lui donner libre cours serait céder à la panique et pourrait l'amener à des actions impulsives qu'elle regretterait ensuite, peut-être même la conduire à la folie. Elle la redoutait, sachant bien qu'elle pouvait basculer dans ses filets d'un moment à l'autre, nul n'était à l'abri.