ELVIRE : Mon Dieu, mon père, je vous admire !
FULGENCE : N'est-ce pas que je fais bien les choses ?
ELVIRE (ironiquement) : Trop bien, en vérité... Ne croirait-on pas que ce beau fiancé est quelque prince charmant qui daigne quitter les splendeurs de sa cour pour venir, au fond du Bourbonnais, chercher la sœur de Cendrillon ? Est-ce qu'on illuminera en son honneur ? Tirera-t-on un feu d'artifice ? Et quand il apparaîtra, devrais-je me mettre au piano, pour jouer la Marseillaise, comme on fait pour le Président de la République ?
FULGENCE : Ce langage ironique est déplacé ici !
ELVIRE : C'est qu'il est bien agaçant, pour un jeune fille, d’être ainsi mariée, sans qu'on est daigné consulter son cœur ?
FULGENCE : J'ai voulu te faire une agréable surprise...
ELVIRE : C'est comme j'ai l'honneur de vous dire : j'aime les nuits étoilées, le lac dont la brise ride la surface, les chants suaves du rossignol, les mystérieuses mélodies des sérénades et les vers inspirés des poètes... {elle semble rêveuse}
HENRI : De grâce, veuillez continuer : c'est fort intéressant.
ELVIRE : Tel que je le comprends, l'amour doit s'entourer d'ombre et de mystère; c'est l’imprévu qui en fait le principal charme. Je n'accepterai donc jamais un fiancé officiel, annoncé à l'avance par le télégraphe, et conduit, par la main, par l'auteur de mes jours... Celui que j'entends choisir moi-même devra chanter sous mes fenêtres la cantilène d'Almaviva, grimper par une échelle de soie et entrer par le balcon, la guitare en bandoulière, comme dans le Barbier de Séville. C'est mon dernier mot... {Elle part d'un éclat de rire, en voyant l'air stupéfait de Henri}
HENRI {à part} : Elle veut rompre, c'est certain... Eh bien ! Jouons-lui la même ritournelle... {Haut}... Mademoiselle, je regrette bien sincèrement de n'avoir pas été prévenu ; je n'ai apporté ni la guitare ni l’échelle de corde d'Almaviva... Je n'en suis pas moins capable de tout entreprendre pour me faire ouvrir la porte de votre cœur...