Le sang coule à flots dans la plaine ; les Turcs, les yeux largement ouverts, se croisent les bras et s’étonnent devant cette agonie silencieuse ; ceux qui sont jeunes goûtent avec joie les tourments du Chrétien, et les vieux, en éprouvant une crainte obscure, croient déjà sentir d’avance les mêmes tourments de la main du raïa vengeur.
Le farouche aga s’assombrit de se voir obligé d’admirer, lui, le lion fier, le courage avec lequel sait mourir le rat de la montagne. Il n’a pas pu se venger autant qu’il le voulait, même sur les raïas prisonniers. Il les a anéantis de la manière la plus cruelle, mais il n’a pas pu désaltérer son cœur sanglant en les voyant mourir tous sans trembler et sans se plaindre.
Crains celui qui se voue à la mort sans peur et sans hésitation !
Le soleil disparaît et la lune se lève. Qui est-ce qui glisse sur les sentiers rocheux ? Qui est-ce qui traverse si prudemment le Monténégro en tâtonnant et sans faire le moindre bruit ? La nuit il marche et il se repose le jour ; brave autrefois, il n’en a plus l’air aujourd’hui ; mais il tremble, peureux, comme le roseau que le moindre souffle du vent fléchit.
Un serpent fait-il quelque bruit en rampant près de la route, ou un lièvre s’enfuit-il d’un buisson, lui, autrefois plus farouche que le serpent, tremble à présent plus qu’un lièvre.