Jeanne de Coulomb

Le passé l'enveloppait ; ces rochers toujours les mêmes à travers les siècles, ce torrent qui grognait, frangeant d'écume les aulnes de ses bords, ces Pyrénées festonnées de neige, toutes ces choses immuables semblaient garder un peu de l'âme des siens... En suivant le vieux chemin, elle avait l'illusion de baigner dans cette âme dont les deux grandes caractéristiques avaient été la droiture et la fidélité, et elle éprouvait une jouissance singulière à se répéter que ceux qui l'avaient précédée n'avaient jamais été de ces hommes d'argent, avides de satisfactions matérielles et sacrifiant jusqu'à leur conscience.

Arnaud avait appuyé le coude sur la table. Il pensait qu'Henri de Bideros avait passé à côté du bonheur et qu'il y passerait peut-être, lui aussi. Ce Paulin Carrère prenait déjà, en face d'isabelle, l'air suffisant de l'homme assuré du triomphe. Elle méritait pourtant mieux que cet aigrefin ; sous ses allures étourdies qui essayaient de copier les émancipées de la société cosmopolite, elle cachait une nature droite, généreuse et secrètement attachée au devoir. Près d'un mari qui eût su la diriger, loin de cette Mme de Corisandre qui était son mauvais génie, elle fût devenue la plus exquise des jeunes femmes.