toute la vie sociale était truffée de membres du parti, depuis le « chef d’îlot » jusqu’au concierge, et à côté du parti il y avait, omniprésente, la police secrète de l’état, les murs avaient des oreilles, et la nuit avait des yeux.
(page 27)
si mon père n’avait jamais voté pour hitler, il n’arrivait pas à comprendre pourquoi je m’intéressais à nietzsche et à thomas d’aquin.
(page 145)
beaucoup de conifères, pas seulement des pins, des arbres puissants bordent les lacets. plaisir de s’engouffrer dans l’élan des virages en se penchant d’un côté, puis de l’autre, avec le vent frais des hauteurs dans la figure. les pneus du vélo chantent. face à la lumière diffractée dans la forêt on plisse les yeux, on les ferme un instant pour jouir du mouvement incessant, dans toutes les directions. ça continue ainsi pendant des kilomètres, puis on sort de la forêt, et la route devient moins abrupte en descendant vers remiremont.
(pages 137-138)
les généraux font des plans, donnent des instructions, participent brièvement à l’attaque, mais il ne tardent pas à se retirer dans les abris, auprès des téléphones et des cartes. ils jouent à la guerre comme on joue aux échecs, à cela près, qu’un général ne prend jamais conscience qu’un pion de moins est un homme mort. La guerre, c’est leur métier, un métier qu’ils ont appris.
(page 337)
j’ai appris aussi autre chose : cet état essaie de briser les gens, de les briser avec son pouvoir. Il essaie de casser ce que l’homme a de meilleur, son assise. il ne se contente pas d’endoctriner, de manipuler, d’exercer des pressions ou de persuader, il veut briser les reins.
(page 36)
on peut vivre en s’arrangeant avec les nazis, faire de bonnes affaires avec l’état dans le commerce et l’économie, si l’on tient toutes prêtes les réponses qu’ils veulent entendre. mais moi, je suis dégoûté par une société où le langage ne dit rien. chacun dit autre chose que ce qu’il veut dire, les journaux parlent de la paix, et veulent dire la guerre, la propagande parle de la patrie, et veut dire le pouvoir. l’artisan dit « heil hitler » et il reçoit une commande. L’instituteur parle du « führer » et il a le droit de continuer à enseigner.
(page (98)
je mène ma propre guerre, j’ai mes escarmouches à moi, et mes propres batailles. je suis en guerre contre la guerre. Je dois donc convoquer des principes qui permettent d’analyser l’histoire comme ayant mené à cette guerre, je dois décrire mes objectifs et justifier mes motivations. de plus, je n’ai même pas d’alliés.
(page 377)
je n’accepte pas, quant à moi, que l’on présente hitler comme un criminel aberrant dont il serait impossible d’expliquer clairement et de façon rationnelle les motivations. hitler est aussi normal que tous les coquins qui, au nom du progrès, ont défendu le pouvoir et le profit, ainsi que l’élimination de la vie jugée inférieure.
(pages 46-47)
pourquoi la France, ce pays de la philosophie, a-t-elle renoncé à l’action ? sophie était convaincue que paris aurait absolument dû être défendu contre les nazis. Ce pays a perdu la face, sous prétexte de sauver un patrimoine culturel, on ne peut pas se dérober, renoncer à assumer sa philosophie, c’est-à-dire à réaliser ses convictions dans l’action. la perte des objets peut être surmontée, mais pas celle de l’être, pas la perte de son être, pas la perte de son honneur.
(page 116)
inventer une machine à tuer en masse, qui l’a déjà envisagé ? qui a eu l’idée, depuis que l’homme existe, de brûler des hommes dans des cuves, de les gazer par groupes entiers ?
c’était ça, ma patrie, pour qui j’étais censé mourir.
(page 156)