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EAN : 9782373060263
404 pages
Le Murmure (26/09/2019)
4.5/5   3 notes
Résumé :
Quarante ans après la fin de la guerre, les circonstances politiques amènent Otl Aicher à écrire chacun sa guerre où il s'engage plus qu'il ne l'a jamais fait, car les déserteurs n'ont jamais eu la cote en Allemagne...
Lire chacun sa guerre, c'est découvrir Otl Aicher (1922-1991) : un individualiste qui refuse à 15 ans le dressage du parfait jeune nazi, mais aussi d'entrer en résistance comme l'ont fait ses amis Hans et Sophie Scholl, guillotinés en 1943. En... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Pour me lancer dans la lecture de chacun sa guerre, livre signé Otl Aicher, il a fallu ne pas me laisser impressionner par la taille du bouquin et surtout surmonter l'absence de majuscules, décision de l'auteur lui-même. N'appréciant pas leur omniprésence dans la langue allemande, Otl Aicher a décidé d'y renoncer. Ceci a l'avantage de ramener au plus bas, comme il le dit, des noms du genre hitler ou napoléon.
Cet homme dont je découvre l'immense valeur humaine est un fameux designer. C'est lui qui a créé les pictogrammes de la Lufthansa, de bien d'autres entreprises allemandes et des sports pour les Jeux Olympiques de Munich, en 1972, pictogrammes repris ensuite.
Otl Aicher, né Otto Aicher à Ulm en 1922, a refusé d'entrer dans les jeunesses hitlériennes, ce qui lui a valu de ne pas pouvoir passer l'abitur, le bac allemand. Dès 1941, il est soldat et, dans ce livre, chacun sa guerre (innenseiten des kriegs), publié en 1985, il ne se contente pas de raconter son vécu durant ces quatre années de cauchemar. Il débat, discute les idées toutes faites, fait référence aux philosophes, aux écrivains, aux religieux, réalisant un impressionnant tableau d'un pays qu'il aime et d'un état qu'il abhorre.
Avec un courage admirable, Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent ont bien fait de se lancer dans la traduction en français, publiée trente-trois ans après la sortie du livre en allemand, publication assurée par les éditions le murmure que je remercie, comme Babelio (Masse critique).
Otl Aicher qui deviendra professeur, affichiste, typographe et designer brillant, est très lié à la famille Scholl. Werner a le même âge. Inge est née en 1917, Hans en 1918, Elisabeth (Liesl) en 1920 et Sophie en 1921. Ces frères et soeurs sont profondément opposés au nazisme et s'investissent dans la résistance. Hans et Sophie, membres du mouvement La Rose blanche, sont arrêtés, jugés et guillotinés le même jour, le 22 février 1943 !
En 1952, Otl a épousé Inge Scholl et c'est avec elle qu'il développe, après la guerre, ses activités dans l'art visuel. Les éditions le murmure ont eu la bonne idée d'imprimer son livre, chacun sa guerre, en Rotis Serif, fonte de caractères développée dans le Rotis Institut für analoge Studien, fondé par Otl et Inge Aicher-Scholl.
Au cours de ma lecture, j'ai beaucoup appris sur le comportement du peuple allemand sous l'emprise du nazisme. Otl Aicher démonte minutieusement tout cet embrigadement, le fonctionnement de l'armée et le rôle des religions : « cet état essaie de briser les gens, de les briser avec son pouvoir. Il essaie de casser ce que l'homme a de meilleur, son assise. il ne se contente pas d'endoctriner, de manipuler, d'exercer des pressions ou de persuader, il veut briser les reins. »
L'auteur va très loin dans ses analyses, propose de longs développements impossibles à décortiquer ici. Si je ne suis pas toujours d'accord avec lui pour appliquer ses idées sur le rôle de l'état dans un pays comme la France, je suis bien obligé de reconnaître qu'il a raison à propos de l'Allemagne nazie et de la Russie stalinienne.
En dehors des considérations politiques, philosophiques et religieuses, Otl Aicher raconte sa guerre, son vécu. Il démontre là un véritable talent de conteur. Bien que fiché comme personne à surveiller, il a réussi à survivre malgré beaucoup d'épreuves, de blessures, de maladies, de vexations et d'humiliations.
Au passage, Otl Aicher n'épargne pas l'armée, ces généraux qui se retirent prudemment à l'arrière dès que ça chauffe trop, leurs veuves assurées de toucher une pension afin de pouvoir toujours rouler en Mercedes, même si le pays est vaincu. Il stigmatise aussi ces lieutenants, tout juste sortis du lycée et décidés à grimper en grade coûte que coûte. Enfin, il démontre qu'une armée en état de marche ne peut trouver son accomplissement que dans la guerre.
D'Allemagne au front russe, Otl Aicher a toujours imaginé fuir, espéré être capturé mais surtout pas par les Russes, beaucoup par les Ricains. Dans les derniers mois, en pleine bataille des Ardennes ou sur le Rhin, cela devient épique et donc passionnant à lire. Au passage, Otl Aicher n'oublie pas de dénoncer les crimes abominables commis par ses compatriotes.
chacun sa guerre a été, pour moi, une lecture fondamentalement instructive, une lecture poussant à la réflexion et surtout un témoignage comme je n'en avais encore jamais lu sur une période qui marque à jamais l'histoire de l'humanité et dont on ne pansera pas toutes les blessures.

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La résistance française à l'envahisseur nazi n'avait pas la tâche facile. Celle-ci était extrêmement dangereuse, et chacun en a des exemples en tête qui font partie de notre culture commune.
On parle moins souvent, en revanche, de la résistance allemande au nazisme, qui a pourtant bien existé elle-aussi, même si elle était plus confidentielle, et qui vivait au-delà même de toute notion de danger. C'était une vocation sacrificielle.
Cela faisait un moment que je me disais qu'il fallait que je lise quelque chose sur le sujet de la part de quelqu'un qui l'avait vécu, mission difficile car la plupart de ceux qui l'ont vécu n'ont pas survécu.
Aussi, quand j'ai vu passer ce bouquin dans la masse critique non-fiction, je me suis dit que l'heure avait peut-être sonné, ce qui fut le cas, aussi je remercie d'ores et déjà Babelio et les éditions le Murmure pour l'envoi de ce livre fort instructif.
Oeuvre d'un célèbre designer et graphiste d'après-guerre, immortalisé notamment par les pictogrammes olympiques créés pour les JO de Munich en 1972 et jamais reniés depuis, le livre surprend très rapidement.
D'abord, par sa structure. Les chapitres sont plus des paragraphes de longueur très variable, passant du coq à l'âne. L'auteur entrecoupe son récit autobiographique à peu près chronologique de digressions diverses et variées, d'abord philosophiques et religieuses sur Thomas d'Aquin, Saint-Augustin, Aristote, Hegel, Nietzsche, Kierkegaard (ce qui, je l'avoue, a souvent été une épreuve pour moi), puis politico-philosophiques, et là par contre il m'a très favorablement impressionné, mais j'y reviendrai.
Il surprend ensuite par sa ponctuation, et plus particulièrement par l'absence délibérée de toute majuscule. Les traducteurs expliquent ce choix en avant-propos, mais pour moi conserver ce choix dans la traduction fut une erreur, et il eût été préférable de le mentionner dans l'avant-propos sans le reproduire. En effet, même si on s'y habitue un peu avec le temps, l'absence de majuscule bafoue régulièrement la fluidité de la lecture, et donc de la compréhension. C'est d'autant plus vrai que cette compréhension, par moments, ne va pas de soi : ce livre est tout sauf de la littérature de gare, il se mérite !
Ce qui m'amène à un premier gros point positif : l'écriture est remarquable, et la traduction l'est tout autant !
Pour ce qui est du contenu, je ne vais pas revenir sur les pensées philosophico-religieuses de la première moitié qui m'ont laissé assez indifférent.
La partie autobiographique est très intéressante à suivre. On sent parfois poindre chez l'auteur une certaine forme de culpabilité de ne pas s'être engagé avec ses amis Hans et Sophie Scholl dans la Rose Blanche, mouvement de résistance active qui leur a valu à tous deux une condamnation à mort. Humblement, il dit qu'il n'en avait pas le courage, qu'il souhaitait survivre. Pourtant, à la lecture de ses péripéties, on a affaire à tout sauf à un couard. du sacrifice de ses études et de la mise au ban de la société pour avoir refusé, dès 15 ans, d'intégrer les jeunesses hitlériennes, à sa désertion enfin de volume, il a risqué bien des fois de se faire coller au poteau, entre l'épisode où il va rendre visite à ses amis de la Rose blanche et se fait arrêter avec sur lui un journal intime peu aimable pour Hitler, celui où il se fait porter pâle, celui où il vole des papiers pour se faire de fausses attestations, où il saute du train, ou d'un camion en marche pour échapper aux contrôles, nous dirons quand même que c'était un peu plus que de la résistance passive !
Mais si ce journal d'un soldat malgré lui m'a intéressé, c'est bien par ses réflexions sur l'état totalitaire, et par extension sur l'état en général, qu'Otl Aicher m'a passionné dans la seconde moitié de son livre. Ses développements sur la bourgeoisie, sur l'administration et la bureaucratie, sur le dévoiement de la religion par l'état sont empreints de génie. Dans sa dissertation sur la lourdeur de la chaîne hiérarchique, sur l'impossibilité bureaucratique à impulser de nouvelles idées ou à prendre des décisions en raison de la déconnexion du terrain, il a su formuler, en 1985, ma propre pensée de 2021 mieux que je ne saurais le faire moi-même.
Le nazisme l'a abîmé et dégoûté au point de faire de l'incontestable humaniste qu'il était un individualiste et un libéral extrême, jusqu'à prôner l'abolition pure et simple de l'état.
Je ne vais pas jusqu'à le suivre dans cette utopie, car c'est faire peu de cas de la nature humaine tendant vers la loi du plus fort. La nature a horreur du vide des institutions et aurait tendance à le remplir d'immondices.
Si l'on excepte ces quelques réserves que j'explique par le traumatisme totalitaire, Aicher n'était pas simplement un designer de pictogrammes, mais aussi le designer d'une hypothétique société meilleure, plus proche des hommes qui la composent. Un visionnaire.
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Chacun sa guerre est assez atypique, que ce soit par la forme ou le fond.

D'une certaine manière, ce récit me rappelle l'Étranger d'Albert Camus, ce qui peut être difficilement vu comme une critique négative. Un narrateur qui semble presque détaché des horreurs qui se déroulent autour de lui, motivé par l'idée de survivre en restant fidèle à ses valeurs, ce qui n'est pas une tâche aisée dans une Allemagne des années 40.
Ami avec des résistants qui en paieront le prix, il ne souhaite pas s'investir dans un mouvement aussi dangereux et voué à l'échec.

Peut-on considérer comme un lâche quelqu'un qui ne souhaite que rester en vie ?

Pour sa forme, l'absence de majuscules, vu comme un pied de nez aux règles et normes, déroute. Il en ressort un rythme étrange, comme si cette absence de majuscule transformait ce récit en une longue phrase sans interruption, avec cette presque impression que l'auteur cherche à parler de son histoire sans pour autant s'attarder dessus, par honte ou tristesse.

Chacun sa guerre est un livre déroutant qui vaut cependant la peine qu'on s'y attarde.
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Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
beaucoup de conifères, pas seulement des pins, des arbres puissants bordent les lacets. plaisir de s’engouffrer dans l’élan des virages en se penchant d’un côté, puis de l’autre, avec le vent frais des hauteurs dans la figure. les pneus du vélo chantent. face à la lumière diffractée dans la forêt on plisse les yeux, on les ferme un instant pour jouir du mouvement incessant, dans toutes les directions. ça continue ainsi pendant des kilomètres, puis on sort de la forêt, et la route devient moins abrupte en descendant vers remiremont.
(pages 137-138)
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on peut vivre en s’arrangeant avec les nazis, faire de bonnes affaires avec l’état dans le commerce et l’économie, si l’on tient toutes prêtes les réponses qu’ils veulent entendre. mais moi, je suis dégoûté par une société où le langage ne dit rien. chacun dit autre chose que ce qu’il veut dire, les journaux parlent de la paix, et veulent dire la guerre, la propagande parle de la patrie, et veut dire le pouvoir. l’artisan dit « heil hitler » et il reçoit une commande. L’instituteur parle du « führer » et il a le droit de continuer à enseigner.
(page (98)
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les généraux font des plans, donnent des instructions, participent brièvement à l’attaque, mais il ne tardent pas à se retirer dans les abris, auprès des téléphones et des cartes. ils jouent à la guerre comme on joue aux échecs, à cela près, qu’un général ne prend jamais conscience qu’un pion de moins est un homme mort. La guerre, c’est leur métier, un métier qu’ils ont appris.
(page 337)
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pourquoi la France, ce pays de la philosophie, a-t-elle renoncé à l’action ? sophie était convaincue que paris aurait absolument dû être défendu contre les nazis. Ce pays a perdu la face, sous prétexte de sauver un patrimoine culturel, on ne peut pas se dérober, renoncer à assumer sa philosophie, c’est-à-dire à réaliser ses convictions dans l’action. la perte des objets peut être surmontée, mais pas celle de l’être, pas la perte de son être, pas la perte de son honneur.
(page 116)
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c’est à hegel que se référait le brave petit-bourgeois allemand qui fut prêt par la suite à accepter l’autorité de hitler parce que celui-ci incarnait l’état. ce citoyen n’avait le droit de penser qu’en privé. l’idée de l’histoire, son but et son cours étaient réservés à l’état, et nimbés de transcendance, on se demande pourquoi les allemands sont tombés dans une telle bestialité, alors que ce n’est pas un peuple de brutes, ce sont des gens respectables qui vivent et travaillent chez eux.
(page 75)
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