On ne peut pas changer ce que nous sommes, lance papa, la main posée sur la poignée de porte. Mais… peut-être qu’on peut changer la façon dont nous traitons les autres.
Ma vie n’avait rien d’un film noir… jusqu’à aujourd’hui.
Car c’est toujours ainsi que ça commence : un détective dans son agence. Des coups frappés à la porte. Et une fille qui lui demande de l’aide.
Dans cette affaire, rien n’a jamais été tout blanc ou tout noir. C’est moi qui avais envie de voir les choses sous cet angle. Or rien n’est jamais simple. Ni les mystères ni les gens.
Depuis le sommet d’une grande roue, les gens en bas ne sont que des points. C’est une question de perspective. C’est de cela que dépend le regard que nous portons sur les choses. Voilà ce que Tess cherche à me faire comprendre. Les histoires proposent une perspective, à la manière d’une caméra, pour un résultat identique. L’angle de vue qu’on choisit pour filmer, la façon dont on raconte une histoire, c’est une seule et même chose. Un moyen de proposer une perspective. Mais une seule.
Et il ne faut jamais croire que la vie se résume à notre seul point de vue.
Au cinéma, les personnages sont déterminés par leur physique et par leur passé. Je ne m’étais jamais dit que c’était pareil pour les gens réels. Nous sommes à la fois tels que la nature nous a faits, et le produit des événements que nous avons vécus. Sans ça, nous ne serions pas tout à fait les mêmes.
Comprendre cela ne rend pas les drames moins dramatiques. C’est toujours aussi douloureux et injuste d’être blessé ou de voir mourir quelqu’un avant même d’avoir pu le connaître vraiment. Ça ne résout pas tout comme par magie.
Cependant, c’est important.
Il y a un gouffre entre moi et les autres. Je suis incapable de le franchir pour les rejoindre, et je ne sais pas non plus comment les encourager à le faire.
Les murs qui m'entourent sont couverts d'affiches de mes films préférés. Papa me demande souvent comment je fais pour me détendre au milieu de tous ces type à chapeaux qui braquent leur pistolet sur moi en me regardant de travers. Je lui réponds que, de mon côté, je ne comprends pas comment il peut se détendre en faisant du jogging, mais je n'en fais pas toute une histoire pour autant.
Quand je suis dans cette pièce, je ne me laisse pas porter par le courant. Je n’attends pas simplement que le temps passe, en comptant les minutes et les heures qui me séparent du moment où je pourrai être ailleurs. Je ne suis pas une ombre tapie dans un coin, occupée à regarder les autres défiler devant moi.
Quand je suis ici, au Herald, j’ai l’impression d’être vraiment là.
Jusqu’à présent, c’était un peu comme ça que j’imaginais ma propre vie. Comme si j’avais toujours vécu dans l’obscurité, invisible et indéchiffrable, avec quelques rares épisodes en pleine lumière. Et j’en étais satisfait, en tout cas, je le croyais. C’est plus facile de vivre dans l’ombre. On n’a aucun mal à s’y cacher.
La vie, c’est les deux à la fois, désormais j’en suis sûr. L’ombre et la lumière. Des triomphes et des drames… Le bien et le mal sont partout, tout le temps et chez tout le monde.