Gérard Philipe lit "Le Petit Prince" d'Antoine de Saint-Exupéry.
[20 janvier 1959. Cergy]
Mon cher Gérard,
Je n'ai trouvé ta lettre qu'hier. Comme tu le dis, c'est un peu long. Mais j'existe encore, ce n'est pas Dieu merci, c'est comme ça. Je pense souvent à toi. A nous. Il me semble parfois que nous avons été très près l'un de l'autre, aussi près que deux hommes peuvent espérer de l'être, en temps de guerre pacifique. Je nous croyais fâchés, terme absurde dans une société aussi frivole. Je veux dire que je pensais que tu pouvais très bien te passer de mon affection, de mon attention, bref, de ma présence. Et je trouvais ça très naturel. Tant mieux s'il n'en est rien. (....)
Georges
(p.68)
« Dimanche 17 octobre 1976- Cher Georges, (…)
Je suis abrutie de lecture de manuscrits, aussi médiocres que ceux que vous lisiez pour Vilar. Et toujours l’espoir, la carotte. Ce qui est terrible c’est quand on se trouve devant la personne-ce qui m’arrive le plus souvent, on veut me voir, m’expliquer et je ne me sens pas le droit de refuser : j’ai lu, c’est mauvais, je suis désarmée car chaque manuscrit-sauf s’il vient d’un fumiste-représente tant de travail, d’espoir, un tel désir-besoin de communication » (p.127)
Georges Perros [janvier 1953]
Je vous écris de mon petit café provincial. Tous les ouvriers du coin y viennent parler du monde et de leur ménage. Je m'y sens bien, dans l'état idéal, très à l'aise avec ma " nature" qui n'aime pas qu'on l'aime, c.a.d qu'on la sollicite trop visiblement. Je ne parle pas de ma sensibilité, qui fait des noeuds.Quel beau tricot j'aurais à offrir aux anges de ma mort !
( p.48)
Sur scène, Gérard a la grâce, mais il ne le sait pas; Georges n'a pas de génie, et il le sait. Le premier, efflanqué, est promis au soleil de la gloire, le second, trapu à son ombre. L'un s'emballe tandis que que l'autre ronge son frein. Leurs chemins auraient dû se séparer, ils se sont au contraire rejoints jusqu'à, parfois, se confondre. Georges, dont le jumeau est mort à la naissance, a trouvé en Gérard un frère de substitution qui, par son rayonnement, offre un perpétuel démenti à sa résignation, un antidote à son "goût effréné de l'échec et de la mort", à son pessimisme, à cette aigreur que certains lui reprochent, à son mal d'être-" je ne parlerai pas de moi, parce que moi n'existe pas", lui assène-t-il en 1947. Et Gérard que le succès entraîne déjà dans un tourbillon vertigineux, se raccroche à Georges comme à un rocher de haute mer, abrasif et dur. Ils ont besoin l'un de l'autre. Ils marchent la nuit dans Paris, soudés, rieurs et bavards tels "deux ivrognes". Ils se complètent et s'augmentent. [Préface de Jérôme Garcin, p.8].
Georges Perros- [Eté 1949]
Mon petit Gérard, j'aurais aimé te voir avant de partir. Mais comment le faire dans d'heureuses conditions ? Tu sais que je mets du prix aux choses du ...coeur, et que tu figures, malgré ton prestige, au premier rang de ceux que j'aime. Je ne saurais connaître ce qu'on nomme amitié autrement que passionnément, et cela fait partie de mes sens. Aussi bien, puis-je compter sur les doigts d'une main les hommes qui jusqu'ici m'ont fait résonner, c'est-à-dire déraisonner, car que de concessions ! (p.31)
[10 juillet 1977- Ramatuelle]
Très cher Georges, (...)
C'est la première fois que je regarde vivre un chat. Comment ils sont doués pour vivre dans l'instant et se concentrer totalement sur quelque chose qui bouge ou le bonheur d'être au soleil. Il me semble qu'on peut apprendre en les regardant vivre. Alors que le chien est tout le temps inquiet, attentif, suspendu à celui qu'il aime. (p; 151)
Georges Perros [janvier 1953]
Le café présente un autre avantage. On y est seul, quoiqu'assisté. La vie est là, qui bouge, qui murmure, qui tisse ses mille et un réseaux. Cette situation retire tout romantisme, toute envie de cracher à la solitude, qui, bien portée, est le contraire de la sauvagerie. Mais là, je suis comme protégé par tous ces braves gens, la plupart beaucoup plus pittoresques et "irréguliers" que nos amis des générales et des...particulières. (p.49)
[19 juin 1946. Arreau (Hautes-Pyrénées)]
Mon petit Georges,
(...)
Je manque d'indulgence, mais si on était indulgent à 20 ans, où irait le monde ? (p.18)
Anne Philippe [23 novembre 1960 ]
Mon cher Georges,
(...)
Les enfants sont beaux, heureux, passionnants à voir vivre. L'un et l'autre ont souvent tout à coup des éclairs fulgurants de resemblance avec Gérard et puis cela passe. On voudrait les saisir, les garder. (p.91)
[13 mai 1960 ]
Cher Georges ,
(...) Je relis le Petit Prince (l'histoire de la rose et du renard, la rencontre du Petit Prince et de la mort sont des choses admirables et d'une tendresse presque insupportable) (p.87)