Bien sûr, au début, comme beaucoup « à gauche », nous avons fait les pisse-vinaigre, nous nous sommes un peu pincé le nez, nous avons dénigré le « poujadisme » réactualisé. Mais bien vite il nous a fallu admettre que ce mouvement semblait abattre (et, souvent, avait déjà abattu) bien des murs que nous aspirions à démolir en vain depuis longtemps.
Les Gilets jaunes disent grosso modo qu’ils veulent pouvoir vivre dignement de leur travail sans se voir ponctionnés. Ils pointent tous azimut : les prix trop élevés du fait des taxes, une redistribution de l’impôt qui ne profite qu’aux élites, le fait de devoir payer toujours plus pour pouvoir aller bosser en voiture (amendes entour genre, péages autoroutiers, etc.).
Pour les pauvres, la dépendance à l’État est donc totale, et la moindre augmentation (par exemple du carburant) suffit à faire s’effondrer des budgets ficelés à l’euro près.
L’éventail des pratiques ne cesse de s’approfondir dans le sens de l’illégalité; et le champ de ce qui est perçu comme légitime, de s’élargir.
La révolution, ça se fait en s’attaquant – précisément – à ce qui fait qu’on est ce qu’on est. Ça se fait en acceptant et en provoquant une situation dans laquelle on ignore de quoi seront faits les lendemains.
Très vite, dès la fin de la première semaine du mouvement, le paternalisme du gouvernement laisse place à une stratégie de décrébilisation. On va dès lors montrer à la partie de la population inquiète et demandeuse d’ordre les Gilets jaunes comme des beaufs, racistes et homophobes, incivilisés et en proie à des instincts non maîtrisés, prêts à tout saccager aveuglément. Bref, une communication contre-révolutionnaire assez classique, consistant à ériger en monstruosité sociale les “classes dangereuses“.
C’est la preuve éclatante que bloquer, casser, piller et lancer des projectiles sur la police, cela sans représentants ni revendications claires a bel et bien une efficacité immédiate.
Les balades émeutières des gilets jaunes, qui se poursuivent ici des mois durant, apparaissent ainsi comme une réponse à la manière dont les classes dominantes sanctuarisent “leurs“ centres-villes, transformés en espaces uniquement tournés vers des rapports de consommation.
L’augmentation de la taxation des produits massivement consommés par les prolétaires, de même que la réduction drastique des services publics donc ceux-ci bénéficient, aboutit indirectement à diminuer le coût de la reproduction de la main-d’oeuvre pour les capitalistes. Ceux-ci n’ont alors pas besoin de baisser les salaires pour maintenir ou augmenter leur taux de profit : l’État, dès lors qu’il est devenu le médiateur universel du revenu, s’en charge discrètement.
À l’ombre du RIC, les théories dites “du complot“ abondent, sont reprises non seulement sans précautions, mais encore dans une forme de bravade : puisque tout ce qu’on nous dit est faux, puisque la désinformation menée par les médias-à-la-botte-du-pouvoir est générale, alors n’importe quoi, en retour, peut être vrai. Il faut y voir une des raison du succès des “théories“ chouardiennes, dieudonnistes, qui ne prospèrent pas seulement sur le fumier de l’extrême droite, mais développent une curieuse cuisine démagogique qui a tout pour séduire celui qui se défie – à bon droit – du média bourgeois.