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Critiques de Banine (6)
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Jours caucasiens

Je découvre avec jubilation en Ümmülbanu Hanım – alias Banine – une écrivaine de grande valeur et dont l’œuvre, d'envergure bien plus épisodique, me semble très injustement méconnue, sous-estimée ou oubliée. Déjà la réédition présente (1985) de ce premier volume autobiographique (qui datait de 1946) comporte un avant-propos absolument honteux d'un Ernst Jünger dont Banine fut l'amie qui lui consacra trois monographies et que l'on a considérée comme son « ambassadrice à Paris » ; une honte doublée d'un machisme abjecte et scandaleux : Ernst eût apprécié surtout de pouvoir glisser une photo de la belle auteure mannequin entre les pages de son volume qui jaunissait dans sa bibliothèque, écrit-il...

Rendons donc justice à l'auteure ! Ce récit autobiographique possède deux mérites incomparables : celui de rendre compte, entre 1905 et 1924, de l'apogée et de la chute de la classe richissime des pétroliers caucasiens – entre le développement spectaculaire de la valeur marchande du pétrole, les événements tumultueux de l'éphémère République Autonome d'Azerbaïdjan (1917-1920) et l'impact de la Révolution d'Octobre sur cette néo-bourgeoisie parvenue qui, à l'improviste, fut spoliée, ruinée, emprisonnée, exilée ; d'autre part, et c'est sans doute encore plus intéressant, celui de relater de l'intérieur la dialectique conflictuelle entre les normes familiales et codes sociaux traditionnels – d'une société turco-chiite (configuration atypique et minoritaire) – et l'occidentalisation-modernisation galopante des mœurs. Deux figures sont emblématiques de cette dialectique : la grand-mère, qui ne tarit pas d'injures contre les « chiens de giaours » d'une part, et les gouvernantes des quatre jeunes filles de la famille : Fräulein Anna, mais aussi Mlle Marie et Miss Collins, dont l'influence se mesure au moins, chez Banine, à sa passion durable pour le piano et la littérature. L'on rêvera de passer ses vacances à Paris (avec un peu de chance, ce sera fait), l'on conduira de rutilantes Mercedes sur l'unique avenue de Bakou, l'on dilapidera des fortunes aux tables de poker, mais l'on continuera à marier les fillettes à peine pubères sans leur demander leur avis, de préférence à leurs cousins germains (afin que le bien reste en famille, naturellement...). La virginité est une valeur sûre, l'adultère aussi. Les hommes décident, les femmes commandent.



Tout cela est narré avec un humour, une légèreté, un détachement, une perspicacité, un laconisme absolument délicieux. Même dans les derniers chapitres, qui traitent du mariage forcée de la protagoniste avec un homme qu'elle hait et compare systématiquement à un ver de terre, où une compréhensible et évitable amertume remplace la frivolité des deux cents pages précédentes, la gravité du sujet n'efface pas le pétillant primesaut de l'intelligence.



Conquis, je m'élance aussitôt vers le second volet de cette autobiographie, qui a pour cadre la destination de l'exil de l'auteure : Paris.



[PS : Une nouvelle édition de cet ouvrage, qui serait vraiment nécessaire, devrait corriger les innombrables coquilles et dysorthographies de celle-ci, repérables presque à chaque page, qui étaient assurément absentes lors de la parution originelle chez Gallimard.]



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J'ai choisi l'opium

Exergue : « "la religion est l'opium du peuple." Karl Marx. "et je vous conterai tout ce qu'il a fait pour mon âme." Psaume 65. »



Ce livre contient le journal – entre mi-1952 et fin 1956 – des péripéties de la quête spirituelle de Banine qui l'ont conduite à la conversion au catholicisme. « Affranchie » de son héritage musulman par la Révolution, « païenne et athée » dans sa vie parisienne, elle se questionne d'emblée sur les raisons de cette « chose » en émettant les hypothèses que sa cause réside soit dans son passage à « l'âge critique » soit dans les séquelles d'une déception amoureuse, osant à peine envisager la grâce. Et de fait, pendant au moins la moitié du livre, nous lisons une très précise et assez angoissante description d'un état dépressif aigu où la déficience amoureuse se sublime en quête d'amour métaphysique – appelé absolu, ensuite dans le constat douloureux que le soulagement de sa peine ne s'accompagne pas d'une amélioration éthique de sa personne, pourtant ardemment souhaitée. L'existence même de dieu est constamment mise en doute par l'auteure – ne serait-ce que par précaution de langage – et les dogmes chrétiens lui paraissent systématiquement irrationnels et anti-naturels. Mais la prière lui est bénéfique, la lecture de témoignages de la foi aussi. Quelques rencontres semblent déterminantes.

En effet, à mesure que la quête sort de la sphère privée, Banine fait état de ses rencontres avec des religieux, pour quémander un baptême longtemps procrastiné. De là le récit devient celui de sa dialectique intérieure entre scepticisme et envie de croire, en parallèle avec l'alternance entre espérance et déception quant à la perspective de son admission au sein de l’Église En conclusion, cet ouvrage rapporte le témoignage d'une conversion qui s'opère contre la nature et la personnalité d'une femme, contre sa raison - « Je dois en somme par raison renoncer avec ma raison à la raison » (p. 201) - par le seul effet de sa volonté qui, dans le fond, répond à un élan de vie et de choix de guérison.



La lucidité de l'auteure, son intelligence pénétrante ne font pas défaut dans ce troisième volet de son autobiographie : elles vont parfois jusqu'au cynisme et à une certaine détestation de soi parents du nihilisme ; ensuite, jusque dans le dernières pages, la conversion ne rend jamais sa prose sirupeuse, éventuellement pudibonde contre « l'érotomanie » de son environnement ; je regrette tout de même que l'ironie que j'avais tant appréciée dans les ouvrages précédents l'ait (provisoirement, ou définitivement?) abandonnée. Et en parlant d'abandon(s), il est plutôt consternant aussi qu'il n'y ait dans tout le récit qu'une seule référence à l'islam, ne serait-ce que comme rattachement à un héritage ou à une identité, que je m'empresse de retranscrire en citation.
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La France étrangère

Nous sommes en 1967 : les frontières migratoires de la France sont encore (pour quelques années) grand ouvertes ; le taux de chômage atteignant 1,6% des actifs, il se situe en-deça du seuil de « détente du marché de l'emploi » (2,5%) que les économistes préconisent ; on encourage fortement l'installation en Métropole des habitants des DOM-TOM et accorde automatiquement des titres de séjour avec autorisation de travail aux titulaires de visas « touristiques », hors des contrats d'immigration régulés par l'Office National de l'Immigration. Les Français sont globalement ignares des questions d'immigration, qui ne sont pas encore entrées dans le discours politique, à l'exception des syndicats de gauche – plutôt hostiles – et du patronat – extrêmement favorable... Le racisme paraît une effrayante, exécrable hypothèse exogène au génie français que l'on saura éviter par quelques mesures judicieuses de « sélection » des immigrés. Et pourtant... La guerre d'Algérie est une plaie brûlante et lancinante. Peut-être, dans la haine des Algériens pour les colons y avait-il déjà un certain sentiment d'humiliation éventuellement non dépourvu d'un petit fondement... Certes, en imposant à l'Algérie la clause de libre circulation des personnes qu'elle ne souhaitait pas, la France ne s'attendait pas du tout à recevoir un exode massif d'ennemis d'hier, même parmi les travailleurs qualifiés qui manquèrent cruellement à la reconstruction et à la formation des futurs cadres du pays nouvellement indépendant... Et les harkis, et les pieds-noirs, si dangereusement proches de ces néo-migrants...

Le racisme n'existe pas, certes, et l'on devrait prendre des précautions pour ne pas trop culpabiliser les autochtones si d'aventure les Autres les obligeaient à l'introduire, mais on ne renie pas le concept de race, ni l'on ne se scandalise qu'un M. Robert Delerm affirme que la politique d'implantation des Outre-marins « porte en elle des germes dangereux par les problèmes raciaux qu'elle posera d'ici une vingtaine d'années, plus tôt peut-être » (cit. p. 296). Parlons de germes, parlons de Noirs ! Tous les chapitres du livres, à l'exception du premier (« Emigrants et Français ») et du dernier (« Les bidonvilles ») portent le titre d'une nationalité : les Algériens, les Portugais, les Yougoslaves, les Espagnols, les Russes... et les Noirs, une nationalité ! Tous, peu ou prou, sont associés à des stéréotypes plus ou moins précis, plus ou moins amicaux : mais ceux des Noirs se fondent sur un vague déni d'humanité, sur la primitivité du sauvage nu dompteur de lion, chasseur de gazelles et... porteur de maladies. On était moins vigilant à l'époque...

La migration est un problème méconnu, mais l'exploitation des migrants, à tous les niveaux, de façon organisée, industrielle, systématique ne peut avoir été ignorée : il n'y a pas de problème de banlieues mais les bidonvilles sont des enfers dantesques ; la crise du logement, les violences policières, la fraude des employeurs, l'insalubrité des conditions de vie et de travail – et culpabilisation des migrants malades qui encombrent les hôpitaux, la question de mettre en symétrie le devoir de s'assimiler avec la concession de l'hospitalité... Une évidente mais non virulente islamophobie de la part de la « renégate »...



Que m'attendais-je de ce livre ? Que Banine songe bien sûr à sa propre expérience de réfugiée – bien qu'à l'heure où elle écrivait elle fût objectivement désormais davantage une « vieille parisienne » qu'une réfugiée – qu'elle s'en tienne à l'exergue sous laquelle elle l'a placé : la cit. de Paul Valéry : « Enrichissons-nous de nos mutuelles différences. », qu'elle nous parle tout particulièrement de cette émigration russe d'après 1917, à bien des égards restée inégalée, qu'elle reflète la bien-pensance ordinaire d'une bourgeoise de la fin des années 60 affiliée au Secours Catholique – ce n'est que bien tard, en parlant des Yougoslaves, il me semble, qu'on découvre qu'elle y exerçait effectivement une activité, professionnelle ou bénévole.

Ai-je été déçu ? non. Sa bien-pensance s'exprime surtout par un souci constant de donner la parole aux uns et aux autres, de ne pas s'écarter d'un point de vue médian lorsque les positions sont contradictoires. Ainsi de l'idée qu'il faille apprécier et faciliter la migration, MAIS la réguler, la sélectionner, la subordonner in fine aux capacités et aux intérêts du pays d'accueil qui, par une jolie entourloupette finale, coïncident justement d'abord avec les intérêts des migrants...

Ce livre n'est pas un travail savant, MAIS un certain effort de documentation est évident, de même qu'une application journalistique à se valoir de sources variées et d'interlocuteurs divers. Si ce que l'on apprend des différentes nationalités de migrants choisies est inégal, si pour certaines la mise en perspective historique est plus approfondie que pour d'autres, il est aussi agréable de noter avec le sourire que l'auteure se lasse vite du style informatif et revient sans cesse à la prose de la conteuse, au ton du salon, qui se décline dans tous les dégradés, de l'espièglerie jusqu'à l'indignation. Dans son introspection, il y a aussi cet « équilibr(ism)e » typique du migrant, entre empathie et besoin de se distinguer des migrants plus récents ou moins intégrés.
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Ce que Marie m'a raconté

Banine s'est convertie au christianisme au moins depuis 1959. Ce court roman, daté « Noirmoutiers, juin 1966 », est une hagiographie de la Vierge Marie. La narratrice imaginaire est Deborah, la toute jeune servante vivant auprès de la mère de Jésus pendant sa vieillesse à Éphèse. Son récit, qui se veut le monologue à bâtons rompus que Deborah, elle-même devenue très âgée, adresse à des enfants, se compose à parts quasi égales des souvenirs de sa Maîtresse, devant laquelle elle était littéralement en adoration, et de très longs fragments, en italique, rapportés de celle-ci. Il est donc question d'une période qui s'étend de l'enfance de Marie, jusqu'au-delà de l'Assomption – qui constitue cependant la fin du livre –, aux persécutions des Chrétiens par Domitien en 98.

La quatrième de couverture fait état d'une étude approfondie des évangiles y compris apocryphes ; et je ne connais assez ni les canoniques ni ces derniers pour évaluer si et, le cas échéant, de combien l'auteure s'en est éloignée dans sa fiction : il m'a semblé que le personnage de Marie-Madeleine et, peut-être dans une moindre mesure, celui de Judas ont été traités avec une complexité à laquelle l'on n'est pas forcément habitué. L'enfance de Jésus vue par un œil maternel a aussi quelques aspects inattendus. Mais j'avoue que j'ai été surtout intéressé par les (rares) pages traitant de l'évangélisation d'Éphèse, surtout avant et après l'arrivée de Paul de Tarse, qui y prêcha de façon bien différente de « Maître Jean », et provoqua ou au moins accéléra la réaction des anciens adorateurs d'Artémis.

Aujourd'hui, le genre littéraire des Mémoires fictives des personnages bibliques s'est beaucoup répandu. Des découvertes archéologiques récentes et une pratique de mise en regard de celles-ci avec les textes religieux ont aussi sans doute considérablement élargi nos perspectives et nos attentes de « révision » des hagiographies traditionnelles. Je me demande si en 1966 la démarche de Banine n'était pas novatrice, voire éventuellement irrecevable, surtout de la part d'une néophyte, ex-musulmane de surcroît... Toujours est-il que mon édition (très mauvaise : peu soignée, confidentielle) est datée 1991, et il ne semble pas y en avoir eu une plus ancienne.
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Jours parisiens

Ce deuxième volet des mémoires de Banine commence très précisément là où se terminent Jours Caucasiens, c'est-à-dire à l'arrivée en Gare de Lyon de l'Orient-Express d'où la protagoniste met les pieds à quai, en 1924. Il s'étend sur les deux ou trois premières années de sa vie parisienne, comprenant sa carrière de mannequin jusqu'à son abandon pour se consacrer à l'écriture. Ce qui n'est pas clair en termes de chronologie, c'est la datation du livre : on lit de-ci de-là l'année 1947, soit un an après le volume précédent, chez Julliard (ailleurs on évoque Gallimard), tandis que le texte indique a plusieurs reprises, et sans ambiguïté, que cinquante ans se sont écoulés depuis les faits relatés (c-à-d. 1974 au lieu de 47).

À la lecture, si la plume hautement caustique et atrocement auto-dérisoire de l'auteure n'a pas changé, une maturation est à mon avis assez flagrante, sous forme de prise de distance, de gravité, de réflexivité qui entérinerait un écart de vingt-huit ans entre les deux premiers ouvrages autobiographiques.

Dans celui-ci, donc, nous jouissons d'un excellent tableau humoristique des milieu de l'émigration russe à Paris dans les années 20, qui s'inscrit dans le cadre des « années folles » et qui se jouxte quasi physiologiquement à celui, artistique et bohème, de Montparnasse. Respectivement de son père et de l'aîné de ses beaux-frère d'une part, de son troisième beau-frère José, le plus récemment allié d'autre part, Banine a côtoyé ces environnements ; puis, grâce à son métier, elle se fait la féroce portraitiste de celui de la haute couture et des mannequins, surtout dans leur aspect « cocottes » et dissolues. Pourtant, dans la droite ligne de cet aspect, l'apothéose du récit survient après la moitié du livre, avec la réapparition du personnage de Gulnar, la cousine déjà connue dans le premier volume, devenue entre-temps délicieusement et incomparablement séductrice. En vérité, c'est elle qui devient dès lors la protagoniste du récit, la narratrice, qui habite chez elle et assiste à toutes ses aventures, n'étant que reléguée au rôle triste et fade d'ombre pâle de sa flamboyante cousine courtisane. Cette relation ambiguë, faite d'envie et de blâme subtil, d'émulation et de frustration, d'admiration et de haine sera d'ailleurs explorée de façon très sensible dans cette seconde moitié du livre. Par le personnage secondaire de Jérôme, qui n'entre pas dans les dynamiques amoureuses, l'on devine aussi une évolution culturelle, intellectuelle, artistique voire même peut-être spirituelle chez la narratrice, même si, dans ce binôme Pygmalion-Galatée aussi, Banine semble faire figure de tiers et d'intruse. Pourtant c'est elle qui deviendra écrivain...

J'ai cherché assez attentivement dans ces pages un présage de la future conversion au christianisme, de l'auteure qui a fait l'objet d'au moins deux autres ouvrages, dont un sans doute autobiographique (J'ai choisi l'opium) et un romanesque que je m'apprête à lire aussitôt et dont la datation est aussi ambiguë (au point que les deux pourraient avoir précédé Jours Parisiens), mais je n'en ai rien trouvé de précis. J'en déduis que Jérôme n'en fut pas à l'origine, ou bien pas à l'époque, relativement brève, décrite ici.

La qualité littéraire de ce second tome le rend comparable au premier (les coquilles dysorthographiques à corriger aussi). Peut-être la surprise tend à me faire préférer l'autre, mais certainement encore davantage ma plus grande curiosité pour un destin, une géographie et une Histoire qui m'ont paru vraiment extraordinaires. Ici, c'est plutôt le jeu du regard sur la France (des années 20) qui a entretenu mon intérêt. Et le style, naturellement...

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Parisian Days: The Rediscovered Classic Mem..

This is a vivid memoir of Banine’s experiences as a young Azerbaijani woman living in Paris in the 1920s. It captures the atmosphere of the city and the Bohemian lifestyle she led. Banine recounts her encounters with various literary and artistic figures and her reflections on love, culture and her own identity. These memoirs offer a glimpse into Paris’s cultural and social milieu at the time through the eyes of a foreign woman with a unique point of view. It’s a very interesting insight into a period I knew little about.
Lien : https://redheadwithabrain.ch..
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