Claudie J. Martin

Mon corps faible peut à peine grimper ; chaque mouvement me fait souffrir. Lorsque nous arrivons au sommet, j’utilise toute ma force restante pour ouvrir la trappe. Je grimpe sur le sol, et l’homme me saisit immédiatement avant même que je n’aie la chance d’essayer de courir.

Chapitre 3 :
Myriam,
Samedi 15 novembre, soirée
«… Mis à part Lolita, mes amis n’avaient pas vraiment su ce qui m’avait valu un coup de blues il y a quelques années. Je leur raconte alors rapidement ce qu’il s’est passé et conclus mon récit par :
— Maintenant, on s’en va.
Bernard ouvre la bouche, prêt à répliquer, mais Chris reprend la parole au micro. Ils ont déjà joué plusieurs de leurs compositions ainsi que quelques reprises, et le concert va certainement bientôt toucher à sa fin.
— J’espère que vous avez apprécié ce moment passé avec nous, dit-il. En tout cas, nous avons adoré et nous n’hésiterons pas à remettre ça. Mais avant de vous quitter, j’aimerais vous confier quelque chose et vous chanter une dernière chanson.
Il passe sa main dans ses cheveux blonds coiffés en bataille et semble soudain un peu nerveux. Il prend sa guitare et se racle la gorge.
— Alors, voilà, dit-il, hésitant. Ce que je m’apprête à vous raconter, même les membres de mon groupe ne sont pas au courant. Si j’ai voulu composer et chanter, c’est pour… pour essayer de retrouver celle… que j’aime.
Ma mâchoire inférieure tombe littéralement. Mes amis se tournent vers moi et des murmures parcourent la foule. Des sifflements enthousiastes s’élèvent ici et là, et quelques filles sur le côté se mettent à glousser comme des dindes.
— Le hasard fait bien les choses, chuchote Bernard avec regard taquin.
— Je me suis comporté comme un con avec elle, poursuit Chris. Et je n’ai aucun moyen de la retrouver pour lui dire à quel point je suis désolé, à quel point elle me manque. Les seules possibilités que j’ai, c’est mon groupe, et vous, le public. Donc je vous demande à tous ici présent, de faire en sorte qu’on entende parler de Swyno, et qu’un jour nous devenions si célèbres que je pourrais faire passer mon message à la fille que j’aime.
Ses amis semblent extrêmement surpris et mal à l’aise. De toute évidence, ils ne s’attendaient pas cette révélation. Chris gratte deux accords sur sa guitare et annonce au micro :
— Cette chanson non plus n’est pas de nous, et j’espère ne pas la massacrer, car elle est en français. Je la dédie ce soir à celle que je veux retrouver.
Après avoir joué une courte introduction sur sa guitare, il se met à chanter avec son charmant accent british :

♫ Petite Mawie, je parle de twa
Parce qu’avec ta petite voix
Tes petites manies, t’ou as versé ... »

Chapitre 3 :
« … mon cousin n’hésite pas à m’en faire la remarque.
— Tu ne peux pas t’empêcher d’y penser, hein ?
— Quoi donc ? demandé-je, l’air innocent.
— Pas de ça avec moi, Chris. Tu sais très bien à qui je fais allusion.
Je soupire. Bien sûr que oui.
— Pourquoi n’essaies-tu pas de tourner la page ? reprend-il.
— Ça ne sert à rien d’aborder le sujet, je n’en ai pas envie. Point.
Il secoue la tête en signe de désapprobation.
— Et tu ne lui as toujours pas parlé ?
— Non, elle ne m’en a pas donné l’occasion, dis-je en contemplant ma canette de bière d’un air distrait.
Depuis notre séparation, jamais je n’ai pu me justifier et m’excuser auprès de Myriam. J’ai tenté plusieurs fois de la revoir ou de la contacter à distance, mais rien n’y faisait. Pour elle, c’est comme si je n’existais pas.
— Mouais… Si tu veux mon avis, et je sais que ce n’est pas le cas, mais je m’en fous : trouve-toi quelqu’un d’autre. Au moins, en attendant.
Je relève la tête vers lui avec un sourcil arqué.
— En attendant, quoi ?
— Que vous vous rabibochiez, répond-il en haussant les épaules.
— Je crois que tu n’as pas saisi l’ampleur des dégâts.
— Je crois que tu n’as pas compris à quel point cette fille est amoureuse de toi.
L’entendre le dire m’arrache un sourire qui reste relativement triste. J’aimerais en être aussi sûr que lui, mais à l’heure actuelle, je doute que Myriam nourrisse pour moi autre chose que des sentiments de haine. …»

Chapitre 4 :
Myriam,
Vendredi 15 juillet, l’apèrs-midi
«…Lorsqu’il a fini, il relève brusquement la tête en sentant mon regard sur lui.
— Ça fait longtemps que tu es là ? me demande-t-il, gêné.
— Suffisamment pour affirmer une fois de plus que tu as une voix incroyable, lui assuré-je en allant m’asseoir à ses côtés. Chris, je suis sérieuse. Tu as un don.
— Kurt Cobain en avait un aussi et quand je vois où ça l’a mené... Mieux vaut parfois le garder pour soi et ses proches.
— Notre futur rock star aurait-elle peur de la célébrité ? le titillé-je gentiment.
— Eh bien, pour quelqu’un d’aussi discret et timide que moi, être connu et reconnu de tout le monde peut être quelque chose d’assez angoissant.
— À qui le dis-tu ! murmuré-je plus pour moi-même que pour lui.
— Sans parler des paparazzi qui te traquent jour et nuit... Ce n’est pas une vie. Je plaisante volontiers avec ça, mais honnêtement je ne pense pas être capable de vivre comme les stars le font. À moins de faire comme la chanteuse dont ma sœur est fan.
Mon sang se fige. Le regard fixé sur l’écran noir de la télé qui nous fait face, je fais les gros yeux. Il n’y a pas trente-six mille chanteuses sur terre qui sont célèbres dans le monde entier et qui, malgré ça, sont inconnues à la vue de tous. Mais je fais tout de même semblant de ne pas comprendre à qui il fait allusion ...»

Chapitre 1 :
« … Je me plaque une paume sur la poitrine et essaie de retrouver mon calme. La dernière fois que j’ai ressenti un tel déferlement de sensations, c’est lorsque j’ai croisé son regard bleu givré. Un bleu si pur, tout comme l’était son âme, sa voix… Mais celle que je viens d’entendre n’a rien à envier à celle de Chris. Bien qu’elles soient toutes deux incroyablement douces et attirantes, celle de Chris respire l’innocence alors que celle de ce mec transpire l’insouciance.
Soudain, je me sens souillée d’avoir ressenti ce… désir ?! Comment appeler cela autrement ?
Chris, c’est de l’histoire ancienne, il m’a beaucoup trop déçue pour que j’envisage un jour de lui pardonner, pourtant, je ne pense pas pouvoir aimer quelqu’un d’autre que lui. Alors, comment expliquer ce qu’il vient de se passer ?
Sois plus rationnelle, je t’en prie ! Ce n’était qu’une voix dont tu as apprécié la particularité ! C’est tout !
Pas faux.
Mais voilà que ma curiosité est tout de même piquée au vif. …»

Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu de petit copain. Les garçons de mon âge sont si puérils, inintéressants dans leur discussion et bien souvent si artificiels. Sans parler de leurs hormones en ébullition qui ne leur font penser qu’à une chose :passer à l’acte ! Seuls quelques-uns de mes amis trouvent grâce à mes yeux, mais voilà, aucun d’entre eux ne m’attire physiquement. Selon Lolita, en amour je suis une fille trop difficile avec un cœur de pierre. Et elle n’a pas tort. Je n’ai ni l’envie ni le temps pour ça. J’ai toute la vie devant moi avant de m’enticher d’un garçon qui, certainement, me brisera le cœur un jour ou l’autre au moment où je m’y attendrais le moins. Alors, embrasser un homme plus âgé que moi d’une vingtaine d’années ne me rend vraiment pas jouasse. Aussi charmant soit-il !

Chapitre 2 :
Chris,
Dimanche 10 juillet
«…Je veux juste entendre une nouvelle fois le son de sa jolie voix cristalline. Un simple « bonjour » me suffirait.
Je fais un pas vers elle, puis un autre, et encore un. Finalement, je prends une grande inspiration et m’élance à sa rencontre. C’est alors qu’elle relève la tête et me gratifie de son extraordinaire sourire lorsqu’elle me reconnaît. Ma boule au ventre explose en un millier de papillons virevoltant. Jamais je n’ai vu quelque chose d’aussi sublime, d’aussi radieux, d’aussi pur. Si cette merveille m’impressionnait déjà hier, le fait qu’elle me l’adresse directement à moi aujourd’hui me donne des ailes.
— Salut, lui dis-je en arrivant près d’elle. Tu vas bien ?
— Salut. Oui et toi ? ...»

Sa façon de se comporter et sa beauté pourraient faire penser à une sorte de psychopathe tueur en série qui abuserait de son charme pour piéger ses victimes. Avec la situation actuelle, si on venait me dire que ce mec est un vampire, je le croirais sans broncher ! — Pourquoi tu pleurais ? C’est une blague ? Mon désespoir laisse place à la colère, je finis par exploser de rage et crie : — Pourquoi ?! Parce que je me retrouve au beau milieu de nulle part, je ne sais pas où je suis, je ne sais pas comment j’y suis arrivée, je ne sais pas qui vous êtes et je ne sais pas qui je suis moi-même ! Et tu me demandes pourquoi je pleurais ?!

Je ne suis pas du genre à mâcher mes mots, et il était hors de question que je sois une enfant-star avec une réputation de dévergondée à cause des paroles de mes chansons parfois crues et choquantes pour la bouche d’une jeune fille. Je voulais continuer à avoir une vie aussi ordinaire que possible quand on est comme je suis, notamment par rapport à l’école, mais aussi pour mes parents. De ce fait, je ne suis jamais apparue dans une émission de télévision ou dans un clip. Personne ne sait à quoi je ressemble, d’où je viens et quel est mon âge. Juste mon prénom devenu mon nom de scène est connu : Myriam.

Ce doit être le ruissellement d’une rivière qui se trouve probablement à proximité, et cette pensée me rend exaltée. J’entends Thomas courir derrière moi. L’adrénaline abonde dans mes veines tandis que nous approchons de plus en plus de la source. Soudain, nous sortons des arbres et nous nous arrêtons immédiatement. Thomas arrive quelques instants plus tard, puis s’arrête aussi instantanément. Ma mâchoire tombe littéralement à la vue de ce qui se trouve devant nous. Ça en est tellement presque irréel que je cligne des yeux plusieurs fois pour être bien sûre que je ne l’imagine pas.