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Citation de Charybde2


De ces lieux dont on ne revient plus, ces dédales où les corps et leurs âmes, libres, s’égarent avec volupté. Elle en rêve, la Fille aux cheveux écarlates, tandis qu’elle tressaute vers l’abîme, au rythme du monte-charge dans lequel elle s’est engouffrée comme on se planque, on se dérobe au monde, aux autres. À l’intérieur de la cabine, assez vaste pour s’entasser à vingt et trop petite pour s’échapper à plus si, tout en bas, un malheur se produisait, des autres justement, il en reste un. Du genre à terrifier le bon peuple. Percé, tatoué jusqu’aux yeux. Tribal. Massif.
Avachi sur un tabouret à côté du panneau de commande, le videur reluque la Fille emmitouflée dans son manteau en vinyle surmonté d’une peau de canin à grosses canines, modèle extra-large, avec la tête et tout, qu’on dirait tué de la veille. Difficile, dans le clair-obscur du vieil ascenseur industriel, de déterminer précisément la bestiole en question, surtout sans lunettes. Elle voit le Musclor plisser, forcer, signe qu’il en porte le reste du temps. Sans doute les oublie-t-il pour bosser, ça ne doit pas faire assez féroce. Et elle devine ce qu’il se dit : une meuf courte sur pattes, attifée de ce truc plastoc, long aux chevilles et rehaussé de sa moumoute de poils, ferait marrer la galerie. Pas cette Fille. Déjà, elle est presque aussi grande que lui. Aidée, il est vrai, par ses talons effilés. En plus, elle porte aristo, la version fetish, avec sa tignasse rousse humidifiée au gel et raidie à mi-dos, qui contraste avec la clarté de sa peau, d’un laiteux classe, doux. Ca la rend lumineuse. Son visage est triangle, ponctué d’une bouche de poupée ensanglantée au pinceau, dont la lèvre supérieure, bien dessinée, remonte avec sensualité. Le vairon saisissant de son regard perdu, à la limpidité turquoise d’un côté, bleu pollué de l’autre, impressionne ; bien plus que l’encre rouge injectée dans un salon de tatouage à l’intérieur des globes oculaires du Golgoth. Entre les deux, il y a ce nez, allongé, ni fin ni épais ni vraiment droit, avec du caractère. Son busqué casse l’ensemble et le sublime.
Elle a une gueule, cette miss, elle le sait, et le videur la mate, il ne peut s’en empêcher. Pourtant, il doit en voir défiler des bombesques, des bandantes, des à-tomber-par-terre, dans son cockpit du pauvre. Mais celle-là, c’est autre chose, elle appâte, elle capture. Elle tue. L’insistance silencieuse du mec est pesante. Et ils n’en finissent plus de s’enfoncer et de bringuebaler à chaque mètre grincé de câble dévidé. En douce, la Fille risque vers lui un œil biffé à l’eye-liner. Toujours fixé sur elle. Prêt à bondir. Ça la fait fuir aussi sec vers le plancher et replier autour de son buste des bras dont elle paraît soudain ne plus savoir que faire.
Le temps, étiré, devient insupportable.
Enfin, par-dessus les cliquetis, la Fille entend de la musique. Pas la minimal sobre à laquelle l’endroit est habitué. Ce soir, ça joue classique, Bach, les Suites pour violoncelle seul. Une requête formulée par l’invité mystère de l’hôte de la soirée. Il paraît qu’il en a besoin pour opérer en paix, cet original anonyme, hors la loi et hors de prix, dont Markus n’a pas arrêté de lui rebattre les oreilles.
Ils arrivent. Un dernier choc vertical et la porte s’ouvre sur une cave minuscule. Elle sert d’antichambre et de vestiaire au BUNK’R, club dissimulé six étages sous la rue dans l’ancien Ost-Berlin, au milieu des catacombes de béton où il n’était pas prévu de caser des morts mais plutôt des vivants, en prévision du pire. Ici, le pire est désormais de sortie toutes les nuits, ultime pied de nez des perversions de l’Ouest aux idéaux de l’Est, mais personne ne fait plus attention.
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