— Aujourd'hui, nous essayons de corriger nos erreurs. De reprendre la lutte mise entre parenthèses par l'illusion du bonheur néolibéral. De remettre sur pied l'alliance entre classes moyennes et classes populaires qui ne sont ennemies que dans le cadre d'un système absurde. Aucune excuse ne saura réparer des décennies de renoncement, et pourtant je vous les présente, voilà : nous sommes coupables d'avoir effacé les classes populaires de notre regard pendant si longtemps ; nous sommes coupables d'avoir alimenté un entre-soi de petites bourgeoisies méfiantes envers les plus pauvres ; nous sommes coupables d'avoir participé à la mise au banc de la société des plus démunis, aveuglés par nos différences de culture et par un mépris de classe dont nous refusons trop souvent de voir l'existence. Pour tout cela, je vous présente mes excuses.
Il y eut un mouvement de flottement. Carmalière avait puisé dans ses dernières réserves d'énergie pour réussir à déclamer son discours clairement et sans interruption. Iel semblait maintenant plus bas que terre et prête à sombrer à nouveau dans un coma d'une durée indéterminée.
Jasione fit un signe d'impatience de la main et dit simplement :
— Ouais... eh bah le refaites plus.
– Excuse-moi. T'en as dans la caboche, la môme, ça m'a toujours plu. Jamais compris pourquoi t'étais toujours fourrée avec le vioc.
– Quant à moi, je n'ai jamais compris pourquoi tu t'obstinais à refuser de nous rejoindre, répliqua Amélise. Tu serais un sacré atout pour la fédération.
– Ni dieu ni maître, grommela l'ogre, ça te dit quelque chose? Pi franchement, ça aurait l'air de quoi, un ogre sans emploi qui se syndique? Pour faire quoi, en plus? Tremper dans ses combines foireuses? ajouta-t-il en indiquant Carmalière d'un mouvement de tête. Me retrouver un samedi midi couvert de merde à chercher une planque au milieu de la capitale de Grilecques?
Il feignit l'indifférence et se mit au travail. Un travail qui consistait principalement à s'efforcer d'en faire le moins possible tout en se plaignant d'être débordé en permanence. Il avait cessé de se sentir coupable lorsqu'il avait compris que la grande majorité des employés de cette entreprise faisait de même... tout comme la grande majorité des employés de bureau de la Terre de Grilecques, maintenant qu'il y pensait.
En plus, j'ai pas franchement une gueule de prince. Par contre, je sais qu'j'aurais plus jamais une gueule de serf.