Henri de La Vega

1er mars 1954, Lettre à un ami... : Quel Napoléon as-tu entrepris de lire ? Celui de Ludwig, ou celui de Hugo ? Le Grand, ou le Petit ? S'il s'agit de ce dernier, je suis, moi aussi, en train de le lire en ce moment. Que de ressemblances !...
Victor Hugo m'a enthousiasmé de façon indicible avec Les Misérables. Cependant, à la longue, je me fatigue un peu de son romantisme outrancier, de son style ampoulé, et de la masse, parfois ennuyeuse et excessive de son érudition. Sur ce même thème de Napoléon III, Karl Marx a écrit un ouvrage formidable, intitulé : Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte. C'est en comparant ces deux œuvres, en les mettant côte à côte, que l'on peut apprécier l'énorme différence entre une conception scientifique et réaliste de l'Histoire, et une interprétation purement romantique. Là où Hugo ne voit rien d'autre qu'un aventurier chanceux, Karl Marx voit le résultat inévitable des contradictions sociales et la lutte d'intérêts dominant en un instant précis. Pour l'un, l'Histoire est un hasard, pour l'autre, un processus régi par les lois.
Les phrases de Hugo, c'est vrai, me rappellent nos propres discours, pleins de foi poétique dans la liberté, de sainte indignation contre les outrages qu'on lui fait subir, et d'espérance toute confiante dans son retour miraculeux...

592 - [Points Politique n°22, p. 19]