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Citation de Partemps


 L'Infini
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L’HOMME VERTICAL

L’évolution de l’homo erectus, lorsque l’homme s’est redressé debout au-dessus de la savane, a transformé à la fois l’inclinaison de son cerveau, mais aussi le sens de sa sexualité. Jean-Didier Vincent précise que, dans cette station verticale le sexe féminin qui était visible est devenu invisible. Ce sexe que même nue la femme ne laisse pas voir. Bien dissimulé sous le tissage des poils pubiens. Seul le sexe masculin est visible. Les Romains le nommaient le fascinus.

Freud nous décrit le trajet anthropologique du sensoriel : l’homme a troqué l’olfactif contre le visuel [17]. « Cette transformation, écrit-il, se rattache avant tout à l’effacement des sensations olfactives par l’entremise desquelles le processus menstruel exerçait une action sur l’âme masculine. Le rôle des sensations olfactives fut alors repris par les excitations visuelles qui, à l’inverse des sensations olfactives intermittentes, furent à même d’exercer une action permanente » [18]. Le visuel inaugure donc l’advenue d’une poussée constante de la pulsion libidinale, spécifique de l’être humain, par opposition au périodique de la sexualité animale, soumise au rut et à l’oestrus, et par opposition au périodique de la fonction anale. Ainsi donc, écrit Freud, l’érotique anale succombe la première à ce "refoulement" organique qui ouvrit la voie à la civilisation. ».

Selon Monique Schneider [19], Freud envisage là une autre modalité du refoulement, qui réfute ses premiers développements théoriques. Il s’éloigne de son expérience de la « contrée féminine » au chevet des femmes hystériques du temps de Charcot. Il rompt avec la définition platonicienne de l’utérus animal se débattant et causant la crise hystérique. Il avait déjà axé sur le regard et sur la visibilité immédiate le choc du constat de manque du sexe féminin chez le garçon. Mais alors, écrit-elle, « l’excrémentiel, prend la relève du menstruel pour devenir la cible sur laquelle se concentre l’opération d’éloignement. Ce qui permet d’oublier, de refouler une seconde fois la cible féminine... La visibilité et l’exposition sont plus évidentes dans la position masculine. L’être masculin est devenu paradigmatique de l’être humain ». L’irreprésentable du sexe féminin. Son contre-investissement C’est le visuel qui théoriquement devient le socle de l’activité de représentation, de re-présentation de ce qui a été perçu. Par la suite, cette activité représentative va davantage se lier au processus hallucinatoire, et s’éloigner du territoire de la perception. Mais il restera toujours une ambiguïté entre ce seulement dedans » et ce dehors qui peut devenir aussi dehors. Il s’agit de l’épreuve de réalité et de toutes ses modalités. C’est en regard de leur angoisse pour un sexe féminin intérieur, invisible et irreprésentable que les filles et les femmes ont recours à un investissement de la « féminité ». Une féminité de surface, celle de la parade ou de la mascarade, celle des robes, talons, bijoux, parfums, maquillages. Si le surinvestissement narcissique des hommes porte sur le pénis, c’est leur corps tour entier que les filles et les femmes investissent, accroché à la réassurance du regard de l’autre. Cette féminité visible fait bon ménage avec la logique phallique. Elle consiste en effet à valoriser, selon le même modèle, ce qui se voit, ce qui se montre et s’exhibe, ce qui s’extériorise et a pour but de rassurer l’angoisse de castration, celle des femmes comme celle des hommes. Ce visible de la féminité est en fait un voile mis sur le creux informe, insaisissable, irreprésentable du sexe féminin, sur son inquiétante ouverture, sur ses débordements de liquidités, sur le sang qui s’en échappe. L’exaltation des rondeurs féminines, de la forme exquise du sein vient contre-investir cette angoisse de l’informe. Cachez ces poils ! La répression. Le tabou s’exerce alors sur l’objet qui est censé cacher, en lieu et place de celui qui doit être caché. S’agit-il d’un retour de l’élément refoulant en lieu et place du refoulé ? Je dirai qu’il s’agit davantage d’une répression. C’est la pilosité qui subit l’opération de répression de ce qu’elle était censée dissimuler. Encore la toison pubienne ! Le poil qui a marqué l’advenue de la puberté, du surgissement du sexuel génital recueille l’héritage de l’obscénité du sexe féminin. Ce qui est appât sexuel, ce qui doit demeurer caché se déplace sur les poils, sur les cheveux. Une patiente musulmane qui présente un symptôme vaginique dit : « Quand on m’a coupé les cheveux, j’ai eu l’impression de ne plus avoir de sexe ». Sous le voile des musulmanes intégristes, aucun cheveu ne doit dépasser, aucun signe de tentation féminine ne doit être manifeste. Leurs pubis sont soigneusement épilés, rasés. Les femmes mariées dans la religion juive ont la tête rasée et portent perruque. Les inquisiteurs chasseurs de sorcières, au Moyen Âge, rasaient les femmes hystériques, supposées cacher le diable fornicateur dans leurs poils pubiens. Au Japon, paradis de l’industrie du sexe et des sex-shops, les poils pubiens sont encore aujourd’hui tabous : les films occidentaux sont censurés de mosaïques, livres et revues sont nettoyés de leurs détails hirsutes. Dans les années 1960, un cinéaste nippon [20] fit scandale en filmant à la fois les poils pubiens et les aisselles de son héroïne. Signe d’érotisme. Apollinaire, dans les tranchées de 1915, écrivait à Madeleine : « Ta toison est la seule végétation dont je me souvienne ici où il n’y a pas de végétation ». Certains rites assimilent la chevelure, les poils pubères et le sang. Dans les textes anciens, le sang se transformait en lait chez les femmes> [21], en poils et barbe chez l’homme. CACHEZ CE SANG QUE JE NE SAURAIS VOIR ! Le fil rouge du sang des femmes « La lune "file" le temps, c’est elle qui "tisse" les existences humaines. Les Déesses de la destinée sont des fileuses », écrit Mircea Éliade [22]. Freud, dans « Le motif du choix des coffrets » [23], évoque les Heures, divinités des eaux célestes. Du fait que les nuages étaient appréhendés comme un tissu, ces déesses ont acquis le caractère de fileuses, qui s’est fixé ensuite sur les Moires. Encore les « tisseuses » de Freud ! « Les déesses météorologiques devinrent des déesses du destin. » Gardiennes des lois périodiques de la succession temporelle, et du retour du même selon un ordre immuable nécessaire à la vie humaine comme à celui de la nature. « La création des Moires est le résultat d’une connaissance qui rappelle à l’homme que lui aussi est une parcelle de la nature et qu’à ce titre il est soumis à l’immuable loi de la mort. » Et de conclure : « Les grandes divinités maternelles des peuples orientaux paraissent avoir été toutes aussi bien des génitrices que des destructrices, aussi bien des déesses de la vie et de la fécondation que des déesses de la mort ». Le lien du sang à la femme s’étend sur la presque totalité de sa vie, préside au destin de son féminin, au destin de son maternel. Ce sang cyclique croît et décroît à la manière des visages de la lune, fluctue à la façon des marées, des saisons, des moissons... On le nomme le « climatère ». D’où le caractère tabou donc sacré qui s’y attache, comme celui qu’attribuent certains hommes aux phénomènes climatiques dont la générosité est fécondante et invoquée, celle du soleil ou de la pluie, mais également à des événements dont la dangerosité est crainte, celle des cyclones, des raz de marée et des tsunamis. Ces cataclysmes auxquels on donne volontiers des noms de femme : Katrina, Rita, etc. On dit que les hommes « versent » leur sang - souvent pour de nobles causes tandis que les femmes le « perdent ». Les causes n’en sont pas aussi nobles, car c’est le signe qu’elles ne peuvent pas contenir ou contrôler ce sang. Et c’est particulièrement le signe qu’elles ne contiennent pas un enfant, ce qui est leur valeur la plus précieuse. D’emblée apparaissent les hésitations et oscillations de Freud dans sa recherche sur l’énigme de la différence des sexes : couple masculin-féminin ou bien couple actif-passif ? Le sang des femmes terrorise, fascine, répugne, émeut. Le sang de la vie, le sang du sexe, le sang de la mort. Il fait l’objet de nombreux mythes. Il donne lieu à « des interprétations diverses, symboliques et même magiques, sur le rapport au temps cyclique, à la mort, à la pureté » [24]. Il préside de nombreux rites, dans les m ours de bien des sociétés et dans toutes les religions. Les hommes ont forgé des théories, sur le mode des théories sexuelles infantiles, à propos de ce sang qui échappe à leur entendement, à leur contrôle, comme il échappe au corps des femmes. Une manière de récupérer l’étrange, inquiétant et familier phénomène, le unheimlich. Ce fut le cas de l’ami Fliess, celui de Freud, inventeur d’une théorie des périodes de 28 jours, celle des mois lunaires, et d’une théorie de la bisexualité. Comment les femmes elles-mêmes, ces femmes lunaires, lunatiques, ces Lilith de la Lune noire vivent-elles ces « lunes », ces « périodes » et ces « règles » imposées par les Moires, cet unheimlich au coeur de leur féminin ? Le « voir » des règles. On utilise le terme « voir » pour signaler l’apparition des règles. Ce « voir » est-il aussi brutal qu’il puisse renvoyer au choc effractif d’une perception de la différence des sexes, mettant fin à l’illusion d’une bisexualité androgyne ? C’est ainsi que le vivent certaines jeunes filles, comme une confirmation de ce que la phase phallique avait marqué du sceau du manque, de la castration. Le « voir » est révélation de ce qui est invisible, caché. Ainsi le « voir » des règles est peut-être une récupération par le visible de l’invisible du sexe féminin, mais aussi de l’irreprésentable des organes génitaux féminins, ceux dont la toison a inspiré les tresseuses et les fileuses de Freud.
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