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Citation de Partemps


Jacques Lacan, récit d’une relation " épisodique et intense "
Propos de Philippe Sollers recueillis par Sophie Barrau, le 15 juin 2001

La première fois que j’ai vu Lacan, c’était en 1965. Je venais de publier un livre qui s’appelle Drame et j’étais allé écouter par curiosité son séminaire. Il m’avait fait signe, on a déjeuné ensemble, et il était persuadé que j’étais au courant de ce qu’il appelait lui-même son " enseignement " ? et que j’y étais déjà sensible. Or pas du tout. Et la première fois que nous avons dîné ensemble, il m’a demandé quel était mon projet de thèse. Or évidemment je ne faisais pas de thèse. Pour Lacan, quelqu’un qui existait dans le langage était forcément un universitaire...

Il pensait que vous étiez un « élève ».

Oui, il y a là comme un malentendu très productif dès le début. C’était un rapport étrange, intéressant...

Ce malentendu initial a-t-il été le fil conducteur de votre relation ?

Le fil conducteur de la relation est passé par une curiosité réciproque. Moi ce qui m’intéressait chez Lacan, c’était sa pratique. Je ne suis jamais entré en analyse moi-même, mais ça m’intéressait beaucoup de savoir comment fonctionnait le rapport qu’il entretenait entre sa pratique et son discours. Et à ce moment-là j’ai suivi, pendant des années, avec beaucoup d’intérêt, ses séminaires. Séminaires atypiques puisque finalement ils étaient ouverts à tout va, et qu’il ne s’ensuivait aucun diplôme particulier ni aucune aptitude particulière. C’était un lieu prégauchiste si vous voulez, ou postgauchiste, enfin quelque chose qui détonnait complètement dans la société française...

Quel intérêt immédiat avez-vous trouvé dans ses séminaires ?

Je me contentais d’étudier sa logique et la façon dont il improvisait parce que je trouvais qu’il était un remarquable orateur, c’est-à-dire un très grand professionnel de l’improvisation.

Ses détracteurs lui reprochent un petit peu ça, c’est-à-dire d’avoir fait du théâtre...

Mais certainement. C’était un théâtre des plus intéressants, le meilleur que j’aie vu de ma vie et de très loin. La respiration, le dérapage, la digression, la reprise, les soupirs, le fait de revenir sans cesse à ce qui l’intéressait : c’est le plus grand théâtre que j’aie vu, et ce n’est pas péjoratif dans mon discours. Il y avait un côté à la fois comique, pathétique, enragé, plaintif. Tout ça c’était vécu : son corps était intéressant... son élocution... Le « Télévision » filmé par Benoît Jacquot [1], plan fixe, discours écrit et récité, c’est la plus mauvaise façon, à mon avis, d’aborder Lacan. Il fallait le prendre dans ses hésitations, ses repentirs, ses silences, ses coups de gueule...
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