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Citation de Partemps


Tremblement de Bataille 2

Première phrase de Madame Edwarda :

« Au coin d’une rue, l’angoisse, une angoisse sale et grisante, me décomposa (peut-être d’avoir vu deux filles furtives dans l’escalier d’un lavabo). »
Ces ouvertures, simples et fulgurantes, déclenchent aussitôt des rencontres de personnages féminins inoubliables, Simone, Marcelle, Edwarda, dont les crises convulsives sont partagées et comme vécues de l’intérieur par le narrateur. De telles figures de femmes sont précisément ce qu’on peut reprocher le plus à Bataille ; c’est là qu’est son expérience de dévoilement et de vérité folle. Comment "illustrer" un passage de ce genre ?

« La mer faisait déjà un bruit énorme, dominé par de longs roulements de tonnerre, et des éclairs permettaient de voir comme en plein jour les deux culs branlés des jeunes filles devenues muettes »
Emportement et précision de l’écriture, vision ironique globale, tout est là.

« A d’autres, écrit encore Bataille, l’univers paraît honnête. Il semble honnête aux honnêtes gens parce qu’ils ont des yeux châtrés. C’est pourquoi ils craignent l’obscénité. Ils n’éprouvent aucune angoisse s’ils entendent le cri du coq ou s’il découvrent le ciel étoilé. En général, on goûte les "plaisirs de la chair" à la condition qu’ils soient fades. »
L’hystérie, la fadeur, sont une trahison permanente du tragique et du comique de l’aventure humaine. Celle-ci est à la fois rire et horreur, angoisse et extase, identité des contraires faisant coïncider douleur et jouissance.

« En moi, la mort définitive a le sens d’une étrange victoire. Elle me baigne de sa lueur, elle ouvre en moi le rire infiniment joyeux : celui de la disparition !... »
Ces phrases sont-elles aujourd’hui plus audibles que lorsqu’elles ont été écrites ? Non. Le seront-elles dans l’avenir ? Non. Ou alors seulement par quelqu’un qui, à son tour, sera contraint de prendre un pseudonyme ou de se taire devant l’énormité de sa découverte. Non pas à cause de l’obscénité, donc (qui n’est qu’un moyen), mais de la conscience de soi qu’elle comporte.

Sans doute pour se moquer de Malraux et de ses Voix du silence, Bataille, à la fin de sa vie, composa une anthologie raisonnée sous le titre Les Larmes d’Eros. La voilà rééditée à son tour. On y trouve la célèbre photo du supplicié chinois (image insoutenable [3]) insérée dans une galerie de tableaux des plus grands peintres (mais aussi des plus contestables au fur et à mesure qu’augmente la vulgarité des temps).

Lascaux. La scène du puits
En réalité, Bataille veut insister sur les figurations les plus énigmatiques, celle de la préhistoire (il est quand même celui qui aura su parler aussi justement de Manet [4] que de la grotte de Lascaux). Ce qu’il a à dire de bouleversant est plus proche des peintures du paléolithique que de l’affadissement stéréotypé de nos jours. Ainsi de cette scène du "puits" sur laquelle il revient sans cesse : un bison blessé et rageur, un homme à tête d’oiseau s’effondrant le sexe dressé, un oiseau posé sur un bâton, un rhinocéros massif qui s’éloigne ... Qui est descendu là-bas une fois est marqué à jamais par ce cri de silence. Bataille, lui, dans une caverne comme dans un bordel, continuait à voir le ciel étoilé.
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