AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de michelekastner


Je pense à toi qui habites ma rue dans une autre ville. Je pense aux vivants. D'ordinaire, quand meurt un proche, une part de nous meurt avec lui. Nous recollons nos morceaux, et avec cette somme restante, meurtrie mais compacte, nous apprenons à survivre à la part manquante. Quand tant de gens meurent en même temps, collègues et amis, amantes et voisins, parents et descendants, la part manquante devient plus grande que celle qui reste. Aucune personne n'a en elle assez de vie pour pleurer tant de morts. Alors, on choisit de penser aux vivants, aux corps mutilés. Si le corps humain est la plus belle des preuves concrètes de la beauté du monde, sa mutilation tient du sacrilège. Il y a dans mon quartier une petite fille dont le visage compte désormais une moitié morte et une moitié en vie. Pourra-t-elle sourire d'une seule moitié de son visage ? Je pense aux corps qui sont sortis indemnes de la chute de la ville. Je regarde les vivants qui déambulent dans les rues. Et les vivants, en général, me paraissent plus sympathiques qu'hier. Non pas qu'ils aient plus de mérite. Il y a ceux, avec leurs mains d'ouvriers et de simples citoyens, qui ont affronté la pierre et le ciment pour sauver des vies. Il y a ceux qui, brandissant un passeport étranger ou se faufilant dans le sac à main d'une amie ou le portefeuille d'un protecteur, se sont empressés d'aller ailleurs refaire leur vie. Il y a ces deux jeunes femmes, médecins, que je croyais connaître, qui n'ont soigné personne et s'installaient ailleurs le lendemain. Il y a la lâcheté en blouse blanche et le courage des anonymes. Il y a cet homme qui, aidant une voisine qu'il connaissait à peine à sortir un parent du rez-de-chaussée d'une maison encore branlante et sur le point de s'effondrer, a dit : soit nous le sauverons, soit nous mourrons ensemble. Il y a cette revendeuse de mon quartier qui a voulu revendre à ses voisins le pain gratuitement offert par le boulanger du coin. Héros et ordures. L'humanité a toujours été chaque chose et son contraire. Les vivants ne sont ni pires ni meilleurs qu'avant. Ils me sont devenus sympathiques simplement parce que je partage avec eux un préfixe : drôle de statut communautaire, nous voilà tous des survivants. Je dois désormais me surveiller pour ne pas transformer le simple fait d'être vivant en vertu ou mérite. Pour les victimes du tremblement de terre, il n'y a pas eu de façon honteuse de mourir. Mais il y a des façons plus humaines que d'autres de survivre, ou de vivre tout simplement.
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}