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Citation de Lutopie


Maintenant quel asile vois-tu où le philosophe puisse se retirer pour y persévérer dans sa profession et y atteindre à tout son développement ? Rappelle-toi ce que nous avons dit, et réfléchis. Nous sommes convenus que les qualités naturelles du philosophe sont la facilité à apprendre, la mémoire, le courage et la grandeur d’ame.

Oui.

Dès l’enfance, surtout si les qualités du corps répondent à celles de l’ame, il sera le premier entre tous ses égaux.

Sans doute.

Lorsqu’il sera parvenu à l’âge mûr, ses parens et ses concitoyens s’empresseront de faire servir ses talens à leurs intérêts.

Oui.

Ils seront à ses pieds, l’accablant de prières et d’hommages ; car prévoyant qu’il sera puissant un jour, ils voudront s’assurer de lui par avance et lui adresseront des flatteries anticipées.

C’est assez l’ordinaire.

Que veux-tu qu’il fasse au milieu de cette foule adulatrice, surtout s’il est né dans un état puissant, s’il est riche, de haute naissance, beau de visage et d’une taille avantageuse ? Ne se laissera-t-il pas aller aux plus folles espérances, jusqu’à s’imaginer qu’il sera capable de gouverner les Grecs et les barbares ? Son cœur ne s’enflera-t-il pas, rempli par le faste et le vain orgueil qui chassent la raison ?

Oui.

Si tandis qu’il est dans cet état d’exaltation, quelqu’un s’approchant doucement de lui, lui faisait entendre le langage de la vérité, en disant que la raison lui manque, et qu’il en a besoin, mais qu’elle ne s’acquiert qu’au prix des plus grands efforts, crois-tu qu’au milieu de tant d’illusions funestes, il prêtât volontiers l’oreille à de pareils discours ?

Il s’en faut bien.

Si pourtant à cause de son heureuse nature et de la sympathie naturelle que ces discours trouvent dans son ame, il les écoutait, se laissait fléchir et entraîner vers la philosophie, que pensons-nous que fassent alors tous ses flatteurs, persuadés qu’ils vont perdre son appui et son amitié ? Discours, actions, ne mettront-ils pas tout en œuvre, et auprès de lui pour le dissuader, et auprès de l’homme qui s’efforce de le ramener pour lui en ôter le pouvoir, soit en l’environnant de piéges secrets, soit en le provoquant par des accusations publiques ?

Cela est fort vraisemblable.

Hé bien, se peut-il encore que notre jeune homme devienne philosophe ?

Je ne vois pas trop comment.

Tu vois que j’avais raison de dire que les qualités qui constituent le philosophe, quand elles se développent sous l’influence d’une mauvaise éducation, le détournent en quelque manière de sa destinée naturelle, aussi bien que les richesses et les autres prétendus avantages de cette espèce.

Oui : je reconnais que tu avais raison.

Telle est, mon cher, la manière dont se corrompt et se perd une nature si bien faite pour la meilleure des professions, et en même temps si rare, comme nous l’avons remarqué. C’est de pareils hommes que sortent et ceux qui causent les plus grands maux aux États et aux particuliers, et ceux qui leur font le plus de bien lorsqu’ils ont pris une heureuse direction ; mais jamais homme d’un naturel médiocre n’a rien fait de grand, soit en bien soit en mal, ni comme particulier ni comme homme public.

Rien n’est plus vrai.

Ces hommes, nés pour la philosophie, s’en éloignant ainsi, et la laissant solitaire et négligée, mènent une vie contraire à leur nature et à la vérité ; tandis qu’elle, privée de ses protecteurs naturels, demeure exposée à l’invasion d’indignes étrangers qui la déshonorent et lui attirent tous ces reproches dont tu parlais : que de ses adhérens, les uns ne sont bons à rien, et les autres, qui forment le grand nombre, sont des misérables.
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