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Citation de Woland


[...] ... Pendant cette période, elle vit très peu Mortimer ; la ferme, les bois et les ruisseaux à truite semblaient l'absorber de l'aube au crépuscule. Un jour qu'elle suivait la direction qu'elle l'avait vu prendre le matin, elle déboucha sur une clairière au milieu d'un bosquet de noisetiers, entourée d'un cercle de grands ifs, au centre de laquelle se trouvait un piédestal en pierre surmonté d'une petite statue de bronze représentant un jeune Pan. C'était une pièce de belle facture, mais ce qui retint son attention fut le fait qu'on avait déposé à ses pieds l'offrande d'une grappe de raisins fraîchement coupés. Les raisins étaient une denrée rare à Yessney et Sylvia saisit la grappe d'un geste rageur. Comme elle regagnait la maison, le mépris et l'agacement se partagèrent un moment ses pensées avant de céder la place à un sentiment voisin de la peur. Derrière un entrelacs de branchages, un enfant au visage d'une coupe hardie et fine, au teint hâlé par un soleil qu'on aurait dit d'Asie, la dévisageait d'un air mauvais. C'était un sentier isolé, mais tous les sentiers autour de Yessney étaient isolés, et Sylvia pressa le pas sans s'attarder à observer cette subite apparition. Ce n'est que lorsqu'elle eut atteint la maison qu'elle s'aperçut qu'elle avait laissé tomber la grappe de raisins dans sa fuite.

- "J'ai vu un jeune garçon aujourd'hui, dans les bois," dit-elle ce soir-là à Mortimer. "Il avait le teint hâlé et était plutôt beau, malgré la lueur malicieuse et presque méchante qui brillait dans ses yeux. Ce devait être un jeune bohémien.

- C'est une hypothèse vraisemblable," dit Mortimer, "sauf qu'il n'y a pas de bohémiens pour le moment dans les environs.

- Alors, qui cela peut-il bien être ?" demanda Sylvia, et comme Mortimer ne semblait pas avoir d'idée précise sur la question, elle se mit à raconter comment elle avait découvert l'offrande votive.

- "Cette grappe de raisins, c'est une idée à toi, je suppose. C'est sans doute une excentricité bien innocente, mais enfin songe à ce que les gens pourraient dire, s'ils l'apprenaient.

- Pourquoi ? Tu y as touché ?" demanda Mortimer.

- J'ai ... j'ai pris la grappe et je l'ai jetée. C'était d'un ridicule ..." balbutia Sylvia en guettant sur le visage impassible de son mari un signe d'agacement.

- "Je ne sais si tu as été bien avisée d'agir ainsi," dit celui-ci d'un ton songeur. "J'ai entendu dire que les dieux sylvestres ne badinaient pas avec ceux qui les méprisent.

- Pour ceux qui croient en eux, peut-être, mais vois-tu, moi, je n'y crois pas," rétorqua Sylvia.

- "Tout de même," dit Mortimer d'une voix égale et calme, "à ta place, j'éviterais les bois et les vergers, et je ne m'approcherais pas trop des bêtes à cornes de la ferme."

Tout ça, c'était bien sûr des bêtises, mais dans ce coin perdu au milieu de ce bois, l'absurde semblait inextricablement lié au malaise. ... [...]
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