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Citation de MegGomar


Une enquête menée en 1995 a révélé que, dans les zones prospères du
pays, les quatre professions qui avaient l’espérance de vie la plus courte
étaient les ouvriers d’usines chimiques, les chauffeurs routiers longue
distance, les policiers et les journalistes. Les ouvriers et les camionneurs
sont victimes d’une insuffisance de règles de sécurité adaptées à leur
condition. Le sort des policiers chinois doit être un des plus durs du monde :
avec un système judiciaire défectueux, dans une société où le pouvoir
politique règne en maître absolu, les criminels qui ont des appuis influents
se font une gloire de s’en tirer souvent indemnes, et certains se vengent par
la suite sur les fonctionnaires impliqués. Les policiers sont pris entre ce
qu’ils savent être le droit chemin et les ordres qu’ils reçoivent ; frustration,
insécurité et mauvaise conscience expliquent le nombre de morts précoces.
Mais pourquoi les journalistes, qui ont, de plus d’une façon, une vie
privilégiée, partagent-ils le même sort ?
Les journalistes en Chine ont été témoins de nombre d’événements
choquants, bouleversants. Toutefois, dans une société où les principes du
Parti gouvernaient l’information, il leur était très difficile de montrer le vrai
visage de ce dont ils avaient été témoins. Ils ont souvent été contraints de
dire et d’écrire des choses avec lesquelles ils n’étaient pas d’accord.
Quand j’ai interviewé des femmes mariées contre leur gré pour des motifs
politiques, quand j’ai vu les femmes lutter contre la pauvreté et des
conditions de vie si pénibles qu’elles n’avaient pas même un bol de soupe
ou un œuf à manger après un accouchement, ou entendu sur les répondeurs
de mon émission ces femmes qui n’osaient dire à personne que leurs maris
les battaient, j’ai souvent été dans l’impossibilité de les aider à cause du
code de la radiodiffusion. Je ne pouvais que me désoler pour elles en privé.
Quand la Chine a commencé à s’ouvrir, ce fut comme si un enfant affamé
dévorait tout ce qui lui tombait sous la main sans faire de distinction. Plus
tard, alors que le monde découvrait une Chine rose de bonheur dans ses
nouveaux atours, qui ne hurlait plus de faim, la communauté des
journalistes a assisté, muette, aux convulsions de ce corps ravagé par les
douleurs de l’indigestion. Mais c’était un corps dont le cerveau était stérile
car le cerveau de la Chine n’avait pas encore développé les cellules
nécessaires pour absorber la vérité et la liberté. Le divorce entre ce qu’ils
savaient et ce qu’il leur était permis de dire mettait à rude épreuve la santé
mentale et physique des journalistes.
C’est à cause de cette situation de divorce que j’ai décidé d’abandonner
ma carrière de journaliste.
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