AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


Nyala était une belle ville, assez étendue, les humanitaires européens l’appelaient le Las Vegas du Darfour, personne ne connaissait le nombre exact de ses habitants, qui augmentait et décroissait sans cesse en fonction du cours de la guerre au Darfour. Y cohabitaient les victimes chassées de leurs villages et les criminels qui se chargeaient de l’expulsion des villageois, mais aussi des citoyens pour qui cette guerre ne signifiait rien, ou encore des commerçants, seuls bénéficiaires du conflit et dont les biens s’étaient multipliés suite à la spéculation, au boursicotage et à la pénurie réelle ou organisée, des janjawids aussi, à la périphérie des grands camps, qui se pavanaient en ville dans leurs Land Cruiser découvertes équipées de mitrailleuses Douchka et de lance-roquettes. Leurs habits étaient sales, trempés de sueur et couverts de poussière, ils étaient bardés de longs grigris et coiffés de casques, leurs cheveux étaient épais et sentaient à la fois le désert et l’exil, ils portaient à l’épaule des fusils G-3 de fabrication chinoise et tiraient sans la moindre raison, sans aucun respect pour l’âme humaine, ils ne faisaient aucune différence entre les humains et les animaux, traitant les premiers comme des chiens. On les reconnaissait aussi à leur langue, le dajar, qui est l’arabe parlé au Niger ou quelque part dans l’ouest du Sahara, ils n’avaient ni femmes ni filles, il n’y avait aucun civil parmi eux, pas plus que de gens pieux ou cultivés, de professeurs, de personnes instruites, de directeurs, d’artisans, ils n’avaient ni village, ni ville, ni même de maison où ils auraient pu désirer rentrer à la fin de la journée, une seule passion les animait, un être aux longues pattes et au dos solide, doté d’une boss capable de contenir autant d’eau qu’un tonneau, à propos duquel ils déclamaient de la poésie, dont ils mangeaient la chair et la graisse, dont ils buvaient le lait, vivant tantôt sur son dos, tantôt sous une tente faite de ses poils, un animal capable de les emmener très loin, comme tuer ou se faire tuer uniquement pour lui assurer des pâturages, à la fois leur maître et leur esclave, leur seigneur et leur serf : le chameau.
Personne ne sait exactement pourquoi le gouvernement avait choisi ces gens-là, parmi tous les peuples d’Afrique, pour mener à sa place la guerre au Darfour. La mission d’Abderahman aurait été bien plus simple face à tout autre ennemi que ce groupe hétéroclite. Il y avait une grande garnison à Nyala, comptant au moins dix mille soldats, des centaines de pièces d’artillerie lourde, ainsi que des avions de chasse chinois, efficaces et extrêmement précis. Tous travaillaient main dans la main avec les janjawids. Mais le projet d’Abderahman n’était pas si ambitieux. Au contraire, il était très modeste, tout à fait à sa portée : dix janjawids sur seize mille, ce n’est pas énorme. Ce n’est même rien comparé aux centaines qui avaient été tués lors des combats. Elle voulait simplement en ajouter dix à la liste, pas un de plus.
Commenter  J’apprécie          20





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}