VLEEL Printemps des poètes 2022, L'éphémère avec cinq auteurs, éditions Bruno Doucey
Amazonie
Toutes les feuilles
tombées sont bouches
fermées de la forêt
gardiennes du silence vivant
de la tige aux nervures
sourires scellés
où la vie traverse
couturière d’énigmes
-
Amazonia
Todas las hojas
caídas son bocas
cerradas de la selva
guardan el silencio vivo
del tallo a las nervaduras
sonrisas selladas
donde la vida va
cosiendo enigmas
MEMENTO
à Pippo Delbono
extrait 1
écoute
quelque chose ici appelle
et ce n’est pas qu’une voix
cette laisse invisible qui me pousse au retour
comme tous les grands vivants
épuisée de brûlures
du bruit de zinc de la rue
les engrenages dans les corps
les machines debout
coups de fouet sur l’oxyde des visages
l’imaginaire tari à la source du pétrole
la laideur à bouts de mots
sans plus de remèdes que la fièvre quotidienne
toute la vie dansée pour d’autres
sans musique
je reviens aux chambres blanches
aux pièces dociles des absents
j’ai vu l’enfance larguer les amarres
couleur indigo le soleil passer
de l’autre côté – ultraviolet
percer les coques de mille petits bateaux
origami orgie des fictions de papier
la crête des jours se précipite
jusqu’à celui marqué d’une croix
…
je marche dans bien d’autres nuits
je marche dans bien d’autres nuits : dont les images me traversent si fugaces qu’elles ne laissent pas d’adresse / et poussent les rêveries anonymes du merveilleux indéfini / je ne veux pas d’ailleurs / je suis / dans toutes ces histoires que je parle-marche / je veux vivre de poésie de révolutions en révélations et mordre le poème / le transmettre de fille en fille avec le souvenir de la première chute
VOYAGER AVEC UN HAMAC…
Voyager avec un hamac ; un pan de liberté.
Tu tiens toute entière dans la toile de parachute.
Blottie à la recherche du silence, tu te souviens
d’autres ailes.
On peut grandir yeux bandés, oreilles sourdes :
comment peut-on manquer de ce qu’on ne connaît pas ?
Mais toi qui viens du Vieux Monde.
L’innocence saute entre les flaques et les bourbiers,
les mains pleines de billes.
Au loin résonne la chanson édentée du crieur.
La rue est un téléphone occupé – la vie, une file d’attente.
ORIGINES
Je viens de
ce pays de sourires tacites
entre femmes maîtresses de la nuit
les jambes dans le brasier
qu’elles allumaient avec des yeux de sorcière
au nom de la musique de la lune pleine d’une icône
inventée
ou des hommes fidèles et infidèles
dont les enfants jouaient dans l’obscurité d’un toit
ouvert
toutes les lumières là-bas la fumée les bruits
quelques chiens aboyaient
une bouteille était brisée de temps à autre
les pains se réchauffaient aux pierres du foyer
la soirée passait ainsi
l’odeur de feu dans les cheveux
les genoux patients
dans l’attente des choses inconnues
et elles savaient tout du tango
de la douleur et de la terre
ces blessures qui s’ouvrent dans la plainte
sans briser l’orgueil de la danse
MEMENTO
à Pippo Delbono
extrait 4
ti voglio raccontare una storia
des joies explosives soudaines inquiétantes
des abattements mystérieux des enfants de cent ans
qui savent l’usage du souvenir
de conjuguer le désir au présent
les bleus du soir
la pluie dans la mémoire
dans l’attente des revenants
j’ai traversé retraversé le monde
ce sont des heures passées dans le hall des capitales
des instants vertigineux dans les cantines
quelques livres s’entêtent à m’attacher
un jour te parler de la neige des pays blancs
enfouis sous des langues hostiles
une nuit te conter le désert des contrées jaunes
ensevelies dans les steppes de la mémoire
de Jakarta à La Havane
cette sensation répétée d’arriver trop tard
j’affirme la vie POSSIBLE
j’affirme la vie POSSIBLE
n’en déplaise aux patrons de la misère
je suis poète
mes morsures sont de soleil
je suis cent mille et cent mille femmes debout
je n’attends pas demain
je n’attends pas la fin du monde
sans répit la beauté sauve le monde
et se dresse immense
la foule qui me ressemble
MEMENTO
à Pippo Delbono
extrait 3
pazzo pazzo pazzo
la folie est un exercice de répétition
là où le rictus dérange
la démangeaison la transe
les yeux des bêtes les mains des anges
j’ai vu la beauté exécutée sans un cri
des fous carencés d’amour
entre fleurs pendues et feuilles mortes
bruissements malins de robes en loques
les froufrous liturgiques des je me souviens
MEMENTO
à Pippo Delbono
extrait 2
dove è la gioia dove è la gioia dove
furies de tous temps
cherche-joie du monde malade
j’ai vu le rire des fous s’emparer du grand silence
bouches bègues de la béance