Paul a mis hors-jeu la valeur de la loi vétérotestamentaire et ainsi l’Ancien Testament comme base évidente de la religion pour les païens à convertir ; à la place de la foi au Messie, il a mis le Kyrios Christos avec son œuvre salvifique de la croix et de la résurrection et il a strictement identifié la religion à la foi au Père du Christ, le Dieu de l’amour et de la rédemption. Quelque chose de tout à fait nouveau – également au sens de Paul – était donné ainsi : l’ancien est passé, voici, tout est devenu nouveau. (…)
Marcion adopta cette position. Si l’on considère la réalité en cause, c’est-à-dire la religion, il fit un pas en dehors du terrain du paulinisme ; en soi, ce pas n’était pas plus grand, mais plus petit que celui que Paul avait fait ; car, selon Paul, l’ancien ordonnancement de la religion du Dieu juif, auquel tenait ferme le christianisme primitif avant et à côté de lui, était aboli, et l’Ancien Testament n’est plus le document divin à partir duquel on doit reconnaître maintenant la volonté salvifique de Dieu et son essence. Mais un document, – et de plus un document divin –, qui vaut seulement de manière conditionnée, est fondamentalement mis hors-jeu en même temps que son auteur.
Le paulinisme signifiait donc une formidable révolution dans l’histoire de la religion judéo-chrétienne. Le fait que l’Église en est restée à la demi-mesure paulinienne et qu’elle l’a même rapidement révisée en régressant, est étonnant et on doit le comprendre exclusivement à partir de la formidable autorité interne et externe de l’Ancien Testament en lien avec l’origine historique du christianisme à partir du judaïsme. Mais ce n’est pas pour autant que Marcion aurait été le seul à avoir ressenti la demi-mesure paulinienne ; plusieurs tentatives de différentes sortes nous sont transmises ne provenance de la chrétienté non gnostique de l’âme postapostolique et elles vont au-delà de cette demi-mesure. (pp. 224-226)