Agathe Charnet

Pardon d'avoir traversé la rue trop vite Pardon d'être arrivée en retard Pardon d'avoir dansé trop près Pardon d'être sortie trois soirs de suite Pardon d'être atrabilaire Pardon d'être à découvert Pardon de ne pas savoir lire une carte routière Pardon d'être en tout point une enfant, une éternelle enfant Pardon de parler fort dans les cafés Pardon d'être maladroite, de tout laisser tomber Pardon de ne pas savoir aimer assez, de ne pouvoir qu'aimer mal Pardon de recevoir trop de messages
Pardon si la colère se propage, si la colère se partage, si les mêmes mots odieux sortent de concert de nos lèvres déchaînées, si les insultes les plus ignobles pleuvent en canon, si nos visages deviennent crispés par la même grimace de feu Pardon si tout mon corps est figé comme dans l'enfance lorsque l'orage annoncé explose Pardon à mon tour de pousser des cris de bête Pardon de pleurer lorsque j'ai peur De reculer quand tu avances

Pardon d'être ça.
Désespérément ça.
Une fille d'Eve.

PETITE FILLE: Mon corps c'est mon corps ce n'est pas le tien. Tu as ton corps à toi alors laisse-moi le mien

Mais ça c'est une chanson pour quand on est petit. Parce que quand on grandit, mon corps il est à nous. Il est à lui. Mon corps tout entier c'est notre intimité. Les frontières sont de plus en plus floues. Un petit démon chuchote dans ma tête, insiste et persiste, et si un Autre touchait mon corps, si je maculais de boue tout le blanc, le pur et la nacre, est-ce que de nouveau je m'appartiendrais ?

A présent j'accuse et je dis
Que

L'heure est venue d'affronter le Jour
L'heure est venue d'adorer la Nuit.

J'accuse pour toutes les années qui m'ont été prises
Pour les baisers que je n'ai pas échangés
J'accuse pour toutes les amours qui ont été volées
J'accuse pour les histoires jamais écrites
J'accuse pour les possibles pulvérisés
J'accuse pour le feu
Le feu étouffé
Vous savez la vérité d'un désir c'est comme le feu
Dans la violence et dans le silence

Un feu
Ça s’étouffe

En plus, l'intégrité physique de mon père est souvent en danger. Il peut avoir des Araignées qui arrivent dans sa tête et qui prennent toute la place ensuite. C'est arrivé une fois, juste avant ma naissance. Parce qu'il faut savoir que, quand il était petit, il n'en avait pas. De père. Et ça, m'explique en murmurant ma mère, avoir un père fantôme c'est un facteur qui favorise les invasions de faucheux sous le crâne.
Alors, le corps de mon père sans père, il ne faut pas trop le perturber. Pas le déstabiliser ni le mettre en colère. Il ne faut pas qu'elles puissent toute de suite retisser leur toile. Les Araignées. Oui, il faut qu'il ait le temps d'écrire ses livres. Mon père.

Je ne sais jamais d'où vient la Faute. Mais je sais qu'elle est là. Originelle. Permanente. Collée à chacun de mes gestes. Mon corps, mes mains, la façon dont je marche dans la rue, dont je bouge mes hanches. Mon existence est une Faute. La Faute habite mon corps.
Collée à lui. C'est l'origine. Ou plutôt mon corps est un réceptacle pour la Faute. Très vite face au Petit Ami, je ne lui dis plus que

Pardon

J'exerce ma bouche à dire le plus vite possible

Pardon

Le pardon est mon unique pare-feu pour endiguer l'inéluctabilité de la Crise
Le pardon seul peut expier la Faute

Alors Pardon. Pardon. Pardon

Elle a dit : "Quand on ne fait rien comme tout le monde Mademoiselle, on a pas le droit de souffrir."