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4.22/5 (sur 9 notes)

Nationalité : Algérie
Biographie :

Ahmed Slama est écrivain (Remembrances, 2017 ; Orance, 2018 ; Marche-Frontière 2023) et développe une activité de critique offensive, par des textes et des vidéos, qu'il diffuse principalement sur son site litteralutte.com.

Source : https://www.publie.net/livre/marche-frontiere-ahmed-slama/
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Citations et extraits (8) Ajouter une citation
Blanc
... miroir, ma gueule... sa couleur surtout, brune, se laver,
me laver avec ce blanc, peut-être que ce blanc, du savon,
déteindrait sur ma peau ; je deviendrais blanc ; blanc comme
ces êtres télévisuels, fantasmés ; je serai ce gamin blanc [11] se
bâfrant de céréales, ma famille s’apaiserait aux tablées
quotidiennes... ou alors, dans mon bain, je me frotterai assez,
assez fort pour extraire toutes ces petites larves, oui, se sont ces
peaux mortes qui me donnent la couleur honnie, non, j’avais
tenté l’expérience sur mon bras, droit, sans succès, à force de
passer l’éponge naturelle et rugueuse, ça n’avait fait que le
rougir, mon bras, le blesser parfois, toujours ce brun, couleur
sale...
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Ahmed Slama
... c’était comme le tapotement intermittent d’un tam-tam,
percussions gravées à même le texte, dont je percevais les
battements avec précision, ces virgules, ce rythme singulier,
accompagner la lecture visuelle avec sa bouche, mouler les
lettres, les mots, phrase longue qui résonnent, phrases hachées
qui impriment cadence nerveuse, et ce souffle, mon souffle qui
remonte, mes organes, langues, dents gencives, se muent en
instrument surgissement d’une mélodie, ce n’est plus de simple
signification qu’il s’agit, mais d’une partition stylistique
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Cortège de gens affairés, huit heures à peu de choses près, ça va en cadence sur les trottoirs. On s’y fond. On vous y remarque à peine. Avenue principale ; immeubles rénovés ; façades que rutile l’entretien régulier. Depuis la gare – routière ou ferroviaire – on y accède aisément, aller tout droit. Pas perdus parmi ces avenues qui se répètent de village en ville, le plus souvent baptisées République. Oui, y en a du public, rien de populaire, ou si peu, ou juste pour y dépenser son argent. Enseignes tire-l’œil et grands groupes ; cadres dynamiques et professions libérales. À suivre comme ça le flux, on finit fatigué, on se pose en ces terrasses trop soignées. Sourire compassé du serveur : – quatre euros le café.
Se calquer sur le pas des autres, mimer les postures austères, les mines que toutes et tous se composent ; bonheur imbécile que cristallise leur sérieux. Mêlé, se mêlant à l’agrégat dynamique. S’oublier, oublier l’errance. Se muer en homme banal porté par leurs normes. Neuf heures passées. Éparpillement progressif, torrent qui tarit. Goutte solitaire sur le pavé, fuyant le cadre petit-bourgeois, se réfugiant dans quelque bistrot ; quartier – encore et pour combien de temps ? – dit populaire.
Radio continûment rivée sur la station aux tubes éculés. Table huit. Commande rituelle. Chaise adjacente, journal local, il traîne tout gorgé de faits-divers, autant de diversions à portée de main – d’œil ? – on le sait bien, ça existe tout ça, c’est l’histoire, la bonne histoire, en un mot – comme en trois – la série noire. Apprendre, tous les jours, qu’il y a des gens qui meurent, assassinés et sauvagement, réconfortant ! ça relativise sa situation – plus de nom et pas de papiers – toujours ça de pris sur la vie. Se remettre aux feuillets, carnet de route griffonné au jour le jour, la tasse qu’on pose à côté, liquide noir et mousse brunâtre, ça tangue et lèche le liséré qu’on porte à ses lèvres. On aspire, repose. Dernière feuille maculée, reprise de l’écrit.
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Deux pages, un peu moins. Quitter la chaise. Planter la tasse sur le zinc à l’entrée. S’adosser contre la façade du bistrot. Rouler son clope en y repensant, aux pages, à la saisie de la condition du sans-papiers, commencer par les dénominations, étranger en situation irrégulière ? catégorisations et tri de la population, foutue frontière qui même franchie – avec maigres profits et trop de pertes – vous suit, on est légal ou illégal, sa présence interprétée comme infraction, on est clandestin, destin d’un clan aux existences particulières, ça ne se voit pas à l’œil, clandestin, ça veut bien dire ce que ça veut dire, dissimulé au grand jour – clandestinus – on est parmi vous, partout, à côté, devant, caché∙es par la condition de sans, parce que désigné∙es par l’absence, ce qui manque, sans-papiers, et pas n’importe lequel de papier, pas celui-ci, extrait du carnet noir par simple pression du pouce, tout fin et grisâtre, ce papier, quasi translucide, juste les moyens d’acheter ces toutes petites feuilles de gomme arabique, quoi ? un euro vingt, un euro cinquante le carnet de 100 feuillets, ça en fait déjà du papier, ça en fera des clopes roulés avec mélange de tabacs puisés dans les mégots cueillis au hasard des rues, les frotter ces mégots, en extraire la sève granuleuse, des miettes ou de la poudre, c’est qu’on est peu de choses sans-papiers. Rouler les grains en tubes, tout cabossés, même après le recouvrement, on reste marqué par sa condition, sur la membrane, on les distingue encore les irrégularités de la tige. Allumer. Fumer. Alterner avec une gorgée âcre de café. Cendrier. Écraser le clope. Revenir aux papiers justement, feuilles griffonnées au jour le jour, tout ranger en laissant une pièce, ça payera le café, y penser quand même à son écrit, épaissir les descriptions ? adjoindre un personnage secondaire ? pourquoi pas.
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Rouler – pourquoi pas ? – engoncés dans l’habitacle crasseux, sursaut au passage des voitures policières, scruter les inscriptions sur capots et portières, danger incertain de la police municipale ? ou péril de la nationale ? pas de portefeuille ni de papiers d’identité en cas de contrôle. Risque permanent : se faire embarquer vers le CRA – Centre de Rétention Administrative – pas vu pour l’instant, pas pris. Pas vu en vrai ces camps, quelques papiers lus au sujet de la concentration d’immigré∙es qui en sont dépourvus. Détentions arbitraires, conditions misérables, attentes interminables en vue de l’expulsion. Embardées – gauche puis droite – rond-point, frontière de la ville, béton urbain qui se dissipe, reste le tapis de goudron qu’avale la gomme. Danger certain et péril. Policiers municipaux remplacés par les gens d’armes à qui l’on ne peut décliner l’identification arbitraire. Une fois pris, pas d’autres choix que de décliner identité et situation. Éviter tout regard alors. Se tasser plus profond dans la banquette.
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Carcan aboli … train, assis, fond de la rame, seul, je griffonne ces papiers, souvenirs d’enfance, ils refluent depuis que ce brin de brise a frôlé mon front, remuant ce fétu capillaire [6]… ça avait commencé par ces jours de coiffeurs, mon père, m’y amenait, je revis sa cigarette, qu’il fumait en attendant notre tour, ces matinées télévisuelles, tout affluait, fils de mémoires se dessinaient s’entrecroisaient, sans lien logique, réel, sinon ces sortes d’associations, notre appartement, ces journées d’ennuis, ces économies, tout un monde, celui d’une enfance, révolue, que je n’avais cesse de ressasser, il ne s’agissait-là que d’images, subreptices, il m’avait fallu les plaquer sur du papier, les épandre à la force du verbe, répéter les phrases, les retravailler, ces nuances qui se muent en différences dans les répétitions successives des formules, les choix opérés, mais comment traduire ces instantanés du surgissement du souvenir ? superposition de deux ou plusieurs sensations ?
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Seul le portefeuille était perdu, les cartes aussi, lors de cette balade au crépuscule, perte matérielle, seulement matérielle à laquelle succéderait l'administrative, ensuite c'est toute la mémoie qui s'écroulerait."
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Un doute au sujet du souvenir à partir duquel s’écrivent ces pages : portefeuille et papiers sont-ils absents dès le départ ? n’était-ce pas ce vol, justement, qui fut le début de tout. Perte des papiers, matérielle d’abord et à laquelle succèdera l’administrative – refus du renouvellement de la carte de séjour. Sans-papiers, dénué de toute socialisation, ça devait arriver, personne pour prononcer votre nom, c’est la pente glissante, pas de papiers pour le voir inscrit, le relire, se rafraîchir la mémoire.
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