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EAN : 9782371776074
136 pages
publienet (17/03/2021)
4.5/5   3 notes
Résumé :
Il marche, comme nombre d'hommes et de femmes migrant d'une frontière à l'autre, la perte de ses papiers d'identité le confine à l'errance. Qui est-il, où va-t-il, quel est son nom pour commencer ? Mystère. Voilà à quoi l'on est réduit aux yeux de l'administration : quelques dates, un coup de tampon, un nom. Une empreinte. Mais la vie, la singularité d'un être, sa sensibilité, ce n'est pas réductible à ces quelques données. Ça déborde.

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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Magistral, universel, « Marche-frontière » est le sceau d'une haute littérature. Prenez le passage de l'écluse lorsque vous entendrez chuchoter les pas d'Ahmed Slama. L'heure pleine et affranchie de l'écoute et son universalité écorchée vive. Avant le mot, l'existence fragilisée par les diktats sociétaux. Glissez du bout du doigt les syllabes annonciatrices d'une délivrance sur la fenêtre des insistances. « Marche-frontière » est un plaidoyer, un aigle noir majestueux en plein vol. Dans le sombre d'un ciel désespéré mais volontaire et qui ne lâchera pas sa quête. Ici, c'est la vérité qui est douloureuse.
« Sans-papiers » n'est pas simplement la condition du présent. Ça vous colle au corps et à la mémoire. On les revit les épisodes précédents, dans et par le péril permanent, toujours imminent : l'angoisse du contrôle et sa chaîne logique : si contrôlé, arrêté, enfermé, CRA, expulsion. »
Ahmed Salma décortique l'ubuesque administratif. Anonyme, invisible, l'homme entre deux rives. La langue maternelle foudroyée avant sa plausible révolte. Les racines ancestrales détournées de la voie d'Or. Ce texte engagé, sans pathos, (nous sommes dans une autre dimension) est l'allié de l'identité qui cherche les preuves des sidérations.Le cornélien procédurier, la folie des épreuves pour prouver sa bonne foi, quête de survivance bafouée par les questions glacées et injustes.
« Seul le portefeuille était perdu, les cartes aussi, lors de cette balade au crépuscule, perte matérielle, seulement matérielle à laquelle succéderait l'administrative, ensuite c'est toute la mémoire qui s'écroulerait. »
Se soumettre, faire silence. Comment peut-on résister dans ce fleuve enivré par les courants des turbulences ? L'homme ubiquité, passerelle vacillante, fragilisée par les efforts d'endurance. « Marche-frontière » serre les poings, fait front à l'immanquable, aux faillites politiques.
« Reprendre le carnet des routes passées, poursuivre l'exploration des bribes du souvenir en quête de mémoire, de l'histoire personnelle et du nom. Dernière feuille : l'entretien avec l'agente du « Bâtiment ». « Marcher. Avancer. Rien de mieux pour se maintenir éveillé, réveillé. On titube un peu, il y a les genoux qui fléchissent de temps à autre. »
Écrire, le nom matrice, le cosmopolite, l'alphabet Babel. Étreindre la respiration gagnante. Être soi, manteau frigorifié sur les épaules frêles, pluie-larme, parapluie-pays (s). « Marche-frontière » est une page du monde qui attend fébrile le regard frère. Rencontrer Ahmed Slama et apprendre encore de lui, à l'infini. Échanger nos identités, puis les déchirer. Faire pacte commun, de concorde et d'amour. L'hospitalité étant la pierre angulaire de la fraternité. Marche-frontière est un livre d'utilité publique, le nom parabolique, lumineux et inestimable. Un témoignage encerclant et émouvant. Publié par les majeures Éditions Publie.net. (Une pensée pour la belle Anabela L. qui comprendra.)


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Sans papiers mais avec écriture, une impressionnante contre-narration clandestine.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/05/11/note-de-lecture-marche-frontiere-ahmed-slama/

Dans ce journal de bord d'une pérégrination dans la clandestinité discrète et toujours aussi potentiellement mortifère, dans ce slalom spécial pour échapper à la « Crevasse » de Pierre Terzian, dans cette quête de planches de salut qui doit affronter aussi bien, au fil des pages, l'imbroglio des autorisations préalables d'embauche que les rapides obsolescences de savoirs-faire (le passage, générationnel, d'une clientèle improvisée, en quelques mois, du couple ordinateur + logiciel à celui portable + app, est désespérément hilarant), une place centrale et singulière est offerte à la littérature.

De banquette de moleskine en chaise de formica, de fauteuil de skaï en tabouret de bois, un artisanat de l'écriture se développe en direct, principalement au café, bar ou bistrot, mais pas uniquement. Si Gilles Marchand par exemple (dans son « Une bouche sans personne » en 2016), ou Ken Bugul (dans son « Mes hommes à moi » en 2008), nous avaient montré bien joliment ce lien curieux entre l'espace cafetier « traditionnel » et la création littéraire parfois la plus « contemporaine », Ahmed Slama inscrit l'écriture – et de facto les circonstances matérielles de sa production – au coeur de cette « Marche-frontière », et va jusqu'à développer un langage quasiment spécifique, multilingue lorsque nécessaire, pour rendre compte de ce qui se passe lorsqu'un journal de bord potentiellement à coutures et à éclipses devient le support d'un travail intense de la narration poétique. Et c'est ainsi que se crée un fil à suivre désormais de près.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Le flow comme une errance, une inscription dans un autre espace où le flot des mots rattraperait la perte d'identité, ce sentiment de clandestinité dont Ahmed Slama dessine les contours. Un homme égare son titre de séjour, tout ce qu'il est, à commencer par son nom, s'effrite. Dans une succession de fragments sur le vif - la vie telle qu'elle s'observe au bistro ou dans la marge -, Marche-frontière ou la tentative d'approcher la vérité de l'écrit, de ses flottements identitaires.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Cortège de gens affairés, huit heures à peu de choses près, ça va en cadence sur les trottoirs. On s’y fond. On vous y remarque à peine. Avenue principale ; immeubles rénovés ; façades que rutile l’entretien régulier. Depuis la gare – routière ou ferroviaire – on y accède aisément, aller tout droit. Pas perdus parmi ces avenues qui se répètent de village en ville, le plus souvent baptisées République. Oui, y en a du public, rien de populaire, ou si peu, ou juste pour y dépenser son argent. Enseignes tire-l’œil et grands groupes ; cadres dynamiques et professions libérales. À suivre comme ça le flux, on finit fatigué, on se pose en ces terrasses trop soignées. Sourire compassé du serveur : – quatre euros le café.
Se calquer sur le pas des autres, mimer les postures austères, les mines que toutes et tous se composent ; bonheur imbécile que cristallise leur sérieux. Mêlé, se mêlant à l’agrégat dynamique. S’oublier, oublier l’errance. Se muer en homme banal porté par leurs normes. Neuf heures passées. Éparpillement progressif, torrent qui tarit. Goutte solitaire sur le pavé, fuyant le cadre petit-bourgeois, se réfugiant dans quelque bistrot ; quartier – encore et pour combien de temps ? – dit populaire.
Radio continûment rivée sur la station aux tubes éculés. Table huit. Commande rituelle. Chaise adjacente, journal local, il traîne tout gorgé de faits-divers, autant de diversions à portée de main – d’œil ? – on le sait bien, ça existe tout ça, c’est l’histoire, la bonne histoire, en un mot – comme en trois – la série noire. Apprendre, tous les jours, qu’il y a des gens qui meurent, assassinés et sauvagement, réconfortant ! ça relativise sa situation – plus de nom et pas de papiers – toujours ça de pris sur la vie. Se remettre aux feuillets, carnet de route griffonné au jour le jour, la tasse qu’on pose à côté, liquide noir et mousse brunâtre, ça tangue et lèche le liséré qu’on porte à ses lèvres. On aspire, repose. Dernière feuille maculée, reprise de l’écrit.
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Deux pages, un peu moins. Quitter la chaise. Planter la tasse sur le zinc à l’entrée. S’adosser contre la façade du bistrot. Rouler son clope en y repensant, aux pages, à la saisie de la condition du sans-papiers, commencer par les dénominations, étranger en situation irrégulière ? catégorisations et tri de la population, foutue frontière qui même franchie – avec maigres profits et trop de pertes – vous suit, on est légal ou illégal, sa présence interprétée comme infraction, on est clandestin, destin d’un clan aux existences particulières, ça ne se voit pas à l’œil, clandestin, ça veut bien dire ce que ça veut dire, dissimulé au grand jour – clandestinus – on est parmi vous, partout, à côté, devant, caché∙es par la condition de sans, parce que désigné∙es par l’absence, ce qui manque, sans-papiers, et pas n’importe lequel de papier, pas celui-ci, extrait du carnet noir par simple pression du pouce, tout fin et grisâtre, ce papier, quasi translucide, juste les moyens d’acheter ces toutes petites feuilles de gomme arabique, quoi ? un euro vingt, un euro cinquante le carnet de 100 feuillets, ça en fait déjà du papier, ça en fera des clopes roulés avec mélange de tabacs puisés dans les mégots cueillis au hasard des rues, les frotter ces mégots, en extraire la sève granuleuse, des miettes ou de la poudre, c’est qu’on est peu de choses sans-papiers. Rouler les grains en tubes, tout cabossés, même après le recouvrement, on reste marqué par sa condition, sur la membrane, on les distingue encore les irrégularités de la tige. Allumer. Fumer. Alterner avec une gorgée âcre de café. Cendrier. Écraser le clope. Revenir aux papiers justement, feuilles griffonnées au jour le jour, tout ranger en laissant une pièce, ça payera le café, y penser quand même à son écrit, épaissir les descriptions ? adjoindre un personnage secondaire ? pourquoi pas.
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Rouler – pourquoi pas ? – engoncés dans l’habitacle crasseux, sursaut au passage des voitures policières, scruter les inscriptions sur capots et portières, danger incertain de la police municipale ? ou péril de la nationale ? pas de portefeuille ni de papiers d’identité en cas de contrôle. Risque permanent : se faire embarquer vers le CRA – Centre de Rétention Administrative – pas vu pour l’instant, pas pris. Pas vu en vrai ces camps, quelques papiers lus au sujet de la concentration d’immigré∙es qui en sont dépourvus. Détentions arbitraires, conditions misérables, attentes interminables en vue de l’expulsion. Embardées – gauche puis droite – rond-point, frontière de la ville, béton urbain qui se dissipe, reste le tapis de goudron qu’avale la gomme. Danger certain et péril. Policiers municipaux remplacés par les gens d’armes à qui l’on ne peut décliner l’identification arbitraire. Une fois pris, pas d’autres choix que de décliner identité et situation. Éviter tout regard alors. Se tasser plus profond dans la banquette.
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Un doute au sujet du souvenir à partir duquel s’écrivent ces pages : portefeuille et papiers sont-ils absents dès le départ ? n’était-ce pas ce vol, justement, qui fut le début de tout. Perte des papiers, matérielle d’abord et à laquelle succèdera l’administrative – refus du renouvellement de la carte de séjour. Sans-papiers, dénué de toute socialisation, ça devait arriver, personne pour prononcer votre nom, c’est la pente glissante, pas de papiers pour le voir inscrit, le relire, se rafraîchir la mémoire.
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Seul le portefeuille était perdu, les cartes aussi, lors de cette balade au crépuscule, perte matérielle, seulement matérielle à laquelle succéderait l'administrative, ensuite c'est toute la mémoie qui s'écroulerait."
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