A la fin des travaux, alors que je n’avais pas encore présenté la facture, sa mère nous a surpris dans la rue, bras dessus, bras dessous. Lorsque nous sommes rentrés, ça a été le drame. « Qu’est-ce que c’est que ça ? Tu sors avec un bicot ? Tu n’as pas honte ? Tu vas m’arrêter ça tout de suite ! » Mais Aude était largement majeure. C’était eux ou moi. Aude a choisi et sa mère l’a flanquée à la porte, ni une, ni deux. « Dehors, salope ! Hors de ma vue ! Se faire troncher par un crouille ! Manquait plus que ça ! » avait-elle hurlé, avant de s’adresser à moi : « Dehors, bougnoule ! Et ne viens pas demander ton chèque ou je t’envoie les flics au cul ! Suborneur ! »
J’étais honnête et je croyais donc en l’honnêteté de mes clients. Pour preuve, je ne demandais pas d’arrhes avant le début des travaux. Le con ! Une facture de douze mille francs ! J’ai perdu mon investissement, j’ai été obligé de licencier un gars. Je ne savais pas encore me défendre. Porter plainte ? Je n’y ai même pas pensé, j’étais si naïf. J’avais pourtant un contrat en bonne et due forme. Quant à Aude, je l’ai recueillie quelque temps; elle pleurait sans arrêt, ne sortait pas de la journée. Pour finir, elle m’a reproché de la laisser seule, puis de n’avoir pas été assez discret. Enfin, c’était de ma faute après tout !
– Et puis quoi, tu n’avais qu’à pas me courir après, zut ! Et puis ce n’est pas de ma faute si tu es Algérien !
– Je ne suis pas Algérien, je suis Français.
– Avec la gueule que tu te payes ! Mon pauvre, tu ne t’es pas regardé ! Crouille !
Ce soir là, quand je suis rentré, elle avait quitté les lieux. Elle avait emporté toutes ses affaires, mon chéquier, une chevalière à laquelle je tenais beaucoup et trois rouleaux de papier de toilette. Les gens changent.