AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de enkidu_


En 1925, soit vingt ans après la méditation proustienne sur la lecture, le grand romaniste allemand Ernst Robert Curtius observe encore que « la littérature joue un rôle capital dans la conscience que la France prend d’elle-même et de sa civilisation » et qu’« aucune autre nation ne lui accorde une place comparable ». Dans les mêmes années, son ami Charles Du Bos affirme sans crainte d’être démenti ou discrédité qu’« il existe un grand dialogue dont il nous faut souhaiter qu’il dure autant que notre race, car il s’en dégage la musique la plus compréhensive et la plus solennelle que le génie français ait fait rendre à l’instrument qui lui est propre : le dialogue Montaigne-Pascal. Un Français est profond dans la mesure où, à son rang, il sait maintenir ce dialogue vivant en lui ». Albert Thibaudet, enfin, élargit la proposition. Le Français est dialogique, dit-il, car il habite une littérature qui vit « sous la loi du couple : Montaigne et Pascal, mais aussi Bossuet et Fénelon, Corneille et Racine, Voltaire et Rousseau, Hugo et Lamartine… »

Ces réflexions nous parviennent comme des échos lointains d’un monde disparu. Le Français dépeint par Du Bos appartenait à la bourgeoisie. Et le bourgeois, ce n’était pas seulement l’homme économique, c’était aussi un héritier. Il avait certes édifié une société nouvelle gouvernée par l’intérêt mais il s’était bien gardé, en dépit des proclamations révolutionnaires, de faire table rase de l’Ancien Régime, c’est-à-dire, pour parler comme Hume dans le lumineux essai cité plus haut, de la « monarchie civilisée ». « Les républiques favorisent davantage le développement des sciences et les monarchies civilisées celui des arts polis », écrit Hume (...) les monarchies civilisées permettent et même exigent l’alliance de la pensée et du style.

Les démocrates jusqu’au bout des ongles que nous sommes devenus aimeraient pouvoir faire dériver de l’idée d’égalité l’ensemble des vertus humaines et l’intégralité des bienfaits de la civilisation. Mais l’histoire ne l’entend pas de cette oreille : c’est sous le règne de Louis XIV, quand tout se passait à la cour, que « dans le domaine de l’éloquence, dans la poésie, dans la littérature, dans les livres de morale et d’agrément », les Français furent « les législateurs de l’Europe », comme le souligne Voltaire, un autre penseur des Lumières. Ils ne remplissaient plus cet office en 1925.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}