Celui qui dit TU sous-entend qu'il est JE. Il commence à parler. Dans l'instant même où il entre dans la langue, il prend conscience de soi-même comme d'un être qui est différent de TU, différent de IL, distinct des autres et des choses, - et du même coup reconnaît soudain l'existence devant lui d'une autre personne, distincte de lui, mais assez proche pour qu'il puisse lui parler et qu'elle puisse le comprendre, voire lui répondre.
Commencer à parler, c'est donc perdre le contact intime qu'on avait d'abord avec les choses. Au début, nulle distance entre elles et moi. Je me confonds avec le monde que je touche. Les yeux sont pleins de lumière, les oreilles pleines de bruits. Chaque sensation est nouvelle, incompréhensible, elle est à la fois indiscutable et dépourvue de toute signification, je ne fais qu'un avec elle. IL établit une distance entre JE et le monde. Parler, c'est remplacer par le mot "arbre" l'arbre unique qui est là devant moi, et qui n'est d'abord que la somme inextricable des sensations diverses qui me le font connaître. C'est donc faire entre cet arbre unique (différent de tous les autres) dans une catégorie générale qui groupe tous les arbres du monde, passés, présents ou à venir, réels ou imaginaires, possibles ou impossibles. JE perd contact avec la réalité unique que cet arbre constituait, mais gagne la possibilité de donner sens à ce qui l'entoure, de s'y retrouver, de penser, voire de communiquer. Les noms de lieux qui sont imprimés sur les cartes de géographie nous cachent le paysage en même temps qu'ils nous apprennent où nous sommes. Parler, remplacer la chose unique par le mot que TU peut comprendre, c'est courir le risque d'une simplification du réel, d'une schématisation, c'est risquer de figer les choses dans des catégories immuables ; mais c'est aussi, véritablement, faire naître JE, lui donner un statut, le faire émerger des choses, grâce à la distance que le mot établit par rapport à elles. (extrait de l'Introduction, p. 8)
Les deux syllabes (hélas) par quoi s'achève Bérénice ne sont pas un mot, mais un soupir hors texte (un souffle), que l'on entend après le dénouement. Elles débordent du texte, comme la couleur dépasse le trait dans les coloriages de Paul-Armand Gette.
Le service de la Poste pneumatique de Paris, faute d'être rentable, disparut en 1984.
Le 2 mars 2010, Anne-Marie, la compagne d'Hubert Lucot, marche "enveloppée de fourrure". Un passant la croise. "Alors qu'elle attendait un reproche zoophile visant son port de pauvres sconses mises à mort (ils le furent il y a 60 ans), l'inconnu prononça : "Vous n'avez pas honte d'être aussi belle?" (page 70 de Je Vais je vis).