"Il s'était aperçu qu'il avait vécu dans un état de véritable sujétion vis-à-vis de l'écriture. Comme un prêtre fanatique. Un zélote. Un idolâtre qui se sacrifie à son idole, non pas faite de boit, de pierre ou d'os, mais d'encre et de papier : dans son temple, dont la bibliothèque labyrinthique imaginée par J.-L. Borges est le modèle, s'entassait la totalité des livres écrits depuis les commencements des temps, et à écrire jusqu'à la fin des siècles.
En arrêtant d'écrire, il avait coupé court à cette fantasmagorie. Il avait entamé une cure de désintoxication douloureuse, pleine de doutes et d'austérités, à laquelle rien n'était susceptible d'échapper. Peut-être la disparition de ses certitudes en la toute-puissance de l'écriture, de l'abnégation que supposait cette pratique, de cette morale même qu'elle induisait le rendaient-elles mieux apte à démonter les mécanismes insidieux et pervers de la croyance, à aborder de front la question de l'absence radicale de Dieu.
Pour retrouver le chemin de l'écriture après une déception pareille, il lui aurait fallu un enjeu de taille : à l'image par exemple de la lutte de Jacob avec l'Ange. Ou de ce Maldoror qui ne craignait pas d'outrager la figure même de Dieu."