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Citation de Mia


Mia
21 janvier 2012
ENTRE LE MONDE ET MOI (texte de Richard Wright reproduit en fin d'ouvrage)

Et dans les bois, un matin, j'ai trébuché dessus,
Trébuché dans une clairière herbeuse gardée par des chênes et des ormes à l'écorce qui pèle.
Et les noirs détails de la scène se sont élevés entre le monde et moi...

Le dessin des os blancs sommeillant dans l'oubli d'un oreiller de cendres.
Le chicot carbonisé d'un jeune arbre dressant un doigt émoussé qui accusait le ciel
Des branches arrachées, des veinules de feuilles brulées,
Un rouleau roussi de chanvre graisseux.
Une chaussure inhabitée, une cravate vide, une chemise déchirée, un chapeau solitaire, un pantalon raide de sang noir.
Et sur l'herbe foulée, des boutons, des allumettes mortes, des mégots de cigares et de cigarettes, des coquilles de cacahuètes, une flasque de gin épuisée et le rouge à lèvres d'une pute;
Des traces éparses de goudron, des bouquets de plumes qui s'agitent et l'odeur persistante de l'essence.
A travers l'air matinal, le soleil versait un étonnement doré dans les orbites d'un crâne pierreux...
Tandis que j'étais là, debout, mon esprit se figea de froide pitié pour la vie qui s'en était allée.
Le sol agrippa mes pieds et mon coeur fut encerclé par les murs glacés de la peur -
Le soleil mourut dans le ciel; un vent nocturne murmura dans l'herbe, bouscula les feuilles dans les arbres; les bois déversèrent les gémissements affamés de chiens; l'obscurité hurlait de voix assoiffées; et les témoins se levèrent, vivants :
Les os desséchés remuèrent en cliquetant et se fondirent dans mes os.
Les cendres grises devinrent une chair ferme et noire qui pénétra dans ma chair.
La flasque de gin passa de bouche en bouche; les cigares et les cigarettes se mirent à luire, la pute étala le rouge sur ses lèvres,
Et mille visages tourbillonnèrent autour de moi en hurlant que ma vie devait brûler...

Maintenant ils me tenaient, ils me mirent nu, ils m'enfoncèrent les dents au fond de la gorge jusqu'à ce que j'avale mon propre sang.
Ma voix se noya dans le rugissement de leurs voix et mon corps noir, mouillé, glissait et roulait entre leurs mains tandis qu'ils m'attachaient au jeune arbre.
Ma peau, collait aux bulles de goudron brûlant, me tombait du corps en lambeaux mous.
Le duvet et les pennes des plumes blanches s’enfonçaient dans ma chair à vif, et, agonisant, je gémissais.
Puis on me rafraichit miséricordieusement le sang par un baptême à l'essence.
Et dans un embrasement rouge, je bondis jusqu'au ciel, la douleur montait comme de l'eau et me bouillait les membres.
Haletant, implorant, je m’agrippais tel un enfant, je m'agrippais aux parois brûlantes de la mort.
Maintenant, je ne suis qu'os desséchés, et mon visage, crâne pierreux, fixe le sol dans un étonnement doré...

- Richard Wright
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