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Citation de laulautte


Les arbres avaient-ils conscience, se demanda-t-elle, du flux animal et humain qui s’écoulait frénétiquement autour d'eux et de leur immobile longévité ? Marjorie se dit que les arbres devaient avoir une certaine connaissance de l'activité des mammifères, ne serait-ce qu'au sens historique large : des vallées néolithiques boisées réduites à des souches noires par les premières déforestations et des hectares d'arbres abattus pour ériger les premiers villages. Les guerres laissaient des souvenirs – des lances et du shrapnel fichés dans l’écorce – tandis que les pendaisons, les pestes et les massacres fournissaient un compost humain bienvenu ; des aliments pour relancer la croissance. Des extinctions causées par des chasses excessives menées par l’homme ou d'autres prédateurs changeaient et modifiaient le monde forestier dans lequel survivaient ces géants intemporels, avec des conséquences parfois bénignes, parfois désastreuses. Les siècles nouveaux s'accompagnaient de débordement urbain, de permis de construire, de bulldozers et de pelleteuses jaunes. Tout cela aurait un impact particulier, enverrait des tremblements dans le continuum silencieux de la conscience arborescente, une conscience végétale soumise aux montées et descentes de sève.
Elle trouvait donc vraisemblable que les arbres connaissent, même de loin, l'activité humaine. Ses évènements à grande échelle devaient finir par s’infiltrer, s’ils duraient suffisamment longtemps. Ces spoliations et ces privations qui perduraient des années et des siècles devaient forcément laisser des traces, mais qu'en était-il des interactions fugaces ? La forêt remarquait-elle le moindre cœur gravé, la moindre déclaration d'amour incisée afin de déguiser pressentiments et incertitudes ? Tenait-elle un registre de chaque chien qu’on promenait et des endroits où il pissait ?  Elisabeth Ire, dans le souvenir de Marjorie, était assise sous un arbre quand elle avait appris qu'elle allait monter sur le trône, alors qu'Elisabeth II, cinq cents ans plus tard, était perchée sur une branche. Et qu'en était-il du pommier anecdotique sous lequel Isaac Newton était assis tout en formulant les idées qui rendraient possible l’ère des machines, et mettraient en branle les engins de terrassement se dirigeant implacablement vers la limite des arbres ? Y avait-il quelque bruissement nerveux dans les feuilles ? Les rameaux soupiraient-ils, en proie à une lasse prémonition ? Marjorie se disait que la chose était possible, du moins au sens poétique, ce qui lui convenait tout à fait. 
[Livre 2 Mansoul – Les arbres n’ont pas besoin de savoir]
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