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Citation de enjie77


Il allait dire : "Tu es très belle" et s'arrêta. Il avait toujours pensé cela de sa mère et n'avait jamais osé le lui dire. Non pas qu'il craignît d'être rebuté ou doutât qu'un tel compliment pût lui faire plaisir. Mais c'eût été franchir la barrière invisible derrière laquelle toute sa vie il l'avait vue retranchée - douce, polie, conciliante, passive même, et cependant jamais conquise par rien ni personne, isolée dans sa demi-surdité, ses difficultés de langage, belle certainement mais à peu près inaccessible et d'autant plus qu'elle était plus souriante et que son cœur à lui s'élançait plus vers elle - oui, toute sa vie, elle avait gardé le même air craintif et soumis et, cependant, distant, le même regard dont elle voyait, trente ans auparavant, sans intervenir, sa mère battre à la cravache Jacques, elle qui n'avait jamais touché ni même vraiment grondé ses enfants, elle dont on ne pouvait douter que ces coups ne la meurtrissaient aussi mais qui, empêchée d'intervenir par la fatigue, l'infirmité de l'expression et le respect dû à sa mère, laissait faire, endurait à longueur de jours et d'années, endurait les coups pour ses enfants, comme elle endurait pour elle-même la dure journée de travail au service des autres, les parquets lavés à genoux, la vie sans homme et sans consolation au milieu des reliefs graisseux et du linge sale des autres, les longs jours de peine ajoutés les uns aux autres pour faire une vie qui, à force d'être privée d'espoir, devenait aussi une vie sans ressentiment d'aucune sorte, ignorante, obstinée, résignée enfin à toutes les souffrances, les siennes comme celles des autres.
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