Albert Cohen

Jamais plus sur un banc de square tu ne m’attendras. Tu m’as abandonné, tu ne m’as pas attendu, tu as quitté ton banc, tu n’as plus eu le courage d’attendre le retour de ton fils. Cette fois, il te fait trop attendre. Il était trop en retard au rendez-vous et tu es partie. C’est la première méchanceté que tu m’aies faite. Je suis seule maintenant et c’est à mon tour d’attendre sur le banc automnal de la vie, sous le vent froid qui gémit dans le crépuscule et soulève les feuilles mortes en néfastes tourbillons odeur d’anciennes chambres, à mon tour d’attendre ma mère qui ne vient pas, qui ne viendra plus au rendez vous, ne viendra plus. Ces gens qui passent devant moi son inutile et vivants, seulement vivants. Je vois une vieille vivante, je pense à ma mère qui était belle et je dis en moi-même « charmante mignonne » à l’affreuse vieille. Piteuse vengeance. Je suis malheureux, Maman, et tu ne viens pas. Je t’appelle, Maman, et tu ne réponds pas. Ceci est horrible car elle m’a toujours répondu et elle accourait si vite quand j’appelais. Maintenant fini, à jamais silencieuse.