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Critiques de Aleko Konstantinov (2)
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Baï Ganiou

Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.



Il y a plusieurs kelepir à tirer de la lecture de Baï Ganiou. Cet objet littéraire, qu'on ne saurait vraiment qualifier précisément, entre roman et assemblage de récits très courts, n'a pas tant une histoire à raconter qu'un type littéraire et sociologique à présenter : voici le citoyen bulgare, pour lequel il faut bien avouer qu'il existe peu de modèles littéraires, du moins dans des traductions françaises.



Baï Ganiou - c'est le nom du héros - est, à en croire la traductrice, un personnage littéraire phare en Bulgarie. Par son caractère, son attitude, ses qualités et - surtout, oserons-nous dire - ses défauts, il serait l'âme bulgare incarnée. Pour le décrire, les qualificatifs ne manquent pas : roublard, audacieux, fort en gueule, charismatique, rusé et néanmoins guidé par son seul intérêt propre (le fameux kelepir, mot d'origine turque), Baï Ganiou plaît tellement aux Bulgares que c'est une dizaine d'éditions de ses aventures qui émaillent son existence littéraire. Paradoxalement, son auteur et créateur, Aleko Konstantinov, en était l'exact contraire : fin lettré, avocat et substitut du procureur, sa quête de liberté et de vérité lui valut d'être écarté de ses fonctions par le pouvoir et, même, d'être assassiné, bien que sur ce point, une controverse existe pour déterminer s'il était, ou non, la cible de son tueur. Loin de céder toute la place à sa créature, Konstantinov se place, ici et là, dans son œuvre : tantôt il est le Bulgare européanisé, un brin moqueur envers Baï Ganiou, tantôt il est son adversaire politique, naïf et idéaliste, qui doit céder à la force de l'ambition.



Le récit (ou plutôt les récits) que propose Konstantinov se divise en deux parties. Dans la première, des hommes racontent des histoires qu'ils ont vécues avec Baï Ganiou en Europe. C'est l'occasion de montrer un Ganiou qui détonne fortement dans les milieux bourgeois européens. Ganiou se conduit comme un rustre, se demandant à chaque fois quel intérêt il peut tirer de telle ou telle situation, soupçonnant tout le monde de vouloir lui voler son essence de rose (Baï Ganiou fait le commerce de ce produit) et profitant allègrement de chaque personne qui peut lui faciliter la vie. Ainsi, il s'invite ou se fait inviter régulièrement, soit par des amis (ainsi dans le premier épisode de la gare ou dans le train pour Prague), soit par des inconnus (ou semi-inconnus : il force presque le domicile du Tchèque Jirecek, lequel avait été, au début des années 1880, ministre de l'Education en Bulgarie). Baï Ganiou insiste sur l'hospitalité légendaire des Bulgares pour obliger son hôte ou son interlocuteur. Profiteur de premier ordre, il s'impose par son charisme et ne s'émeut jamais des situations qu'il provoque.



La deuxième partie, plus romancée, se fait plus grave lorsque la première amenait à rire. La deuxième partie conte, en effet, l'ascension politique de Baï Ganiou qui, pour se faire élire à la Chambre des représentants, est prêt à toutes les compromissions et à tous les retournements de veste. Plus tard, Ganiou fonde même un journal d'opinion, lequel sert surtout de jeter des tombereaux d'injures sur ses opposants. Cette partie se fait le miroir sombre de la naissance de la démocratie en Bulgarie, laquelle n'en a que le nom, et conserve de la tyrannie les caractéristiques les plus viles. Nul doute que cette partie, plus pessimiste que la première, démontre l'inquiétude de Konstantinov pour l'avenir de son pays.



Il faut encore dire un mot sur la traduction. Le récit est émaillé de mots, expressions et phrases provenant de diverses langues : le turc (principalement), le turco-bulgare (c'est-à-dire le turc tel qu'il était parlé en Bulgarie à l'époque de la domination ottomane), le russe, le russo-bulgare, le roumain, l'allemand, le tchèque ... C'est ici un choix délibéré de la traductrice que de rendre compte au mieux de la richesse linguistique du texte original. C'est aussi un moyen de montrer l'opposition culturelle qui, en cette fin de 19ème siècle, divise la Bulgarie : d'un côté, l'héritage ottoman et, de l'autre, la tentation européenne, sans oublier, tapie dans l'ombre, la main du grand frère russe. Ganiou, par ses turcismes, se place résolument dans le conservatisme, même s'il est prêt à adopter toutes les postures philosophiques. Cet effort de traduction permet aussi aux lecteurs francophones de percevoir et de comprendre une partie de l'âme bulgare : celle d'un pays entre Orient et Occident dans lequel l'avenir appartient aux audacieux, qui ne sont pas forcément les plus légalistes.
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Baï Ganiou

Masse critique d’octobre et note de lecture seulement maintenant car j’ai cru pendant de longues semaines que les Editions Non Lieu allaient m’envoyer un Non Livre… Mais les choses sont rentrées dans l’ordre, et je remercie dès ces premières lignes tant Babelio que les Editions Non Lieu de m’avoir permis de lire ce livre.

Mais au fait, quelle mouche m’a piquée de cocher ce titre lors de la masse critique ? En fait je le sais bien, c’est la mouche un peu bobo intello, ou bien sa cousine la mouche classique étranger. C’est en effet la quatrième de couverture qui parle de classique bulgare qui m’a attirée et m’a fait penser, pourquoi pas…

Dès ce premier abord, j’avais pensé à Lazarillo de Tormes, le grand classique espagnol, fondateur du roman picaresque (ah, la mouche bobo intello…), et cette impression s’est maintenue pendant la lecture. Baï Ganiou est aussi un anti-héros, même si ce ne sont pas pour les mêmes raisons. Il a tous les défauts que l’on peut imaginer. Apre au gain et méfiant, avare au-delà de toute description, sans-gêne et de mauvaise foi, égoïste et content de lui, il a toujours une attitude grotesque et hors de propos, mais ne s’en soucie guère tant il se croit dans son bon droit et tant il se pense foncièrement supérieur à tout autre.

C’est amusant, cela fait sourire, mais le texte fonctionne comme une série de scénettes indépendantes les unes des autres, qui n’ont pas toujours un début et rarement une véritable fin ou une chute, et dont le ressort comique est toujours le même (comment Baï Ganiou se comporte de façon déplacée, comment Baï Ganiou profite des autres, comment… vous aurez compris). Cela devient donc un peu lassant pour la néophyte que je suis. Mais dans le même temps, finalement assez intéressant aussi. Je dois avouer (la mouche bobo intello ne fait pas toujours bien son travail) que je ne savais placer la Bulgarie que très approximativement sur une carte. Ce livre m’a permis de remédier à cela et de m’apercevoir que la Bulgarie est au marges de l’Europe, frontalière avec ce qui était alors l’Empire Ottoman. J’ai apprécié de voir dans ce livre le tiraillement culturel entre l’Europe et l’Orient, même si l’identification un peu trop claire Europe-modernité et Orient-arriération m’a un peu dérangée, cette fascination de l’auteur pour l’Europe quitte à en oublier ses racines me paraissant un peu trop entière.

En définitive, voici un livre un peu difficile à lire, non du fait de sa profondeur ou de sa complexité, mais du fait de sa structure juxtaposée qui donne une sensation d’inachevé et du fait de l’utilisation répétée des mêmes ficelles. Mais je suis assez contente de l’avoir lu, parce que j’ai voyagé dans un pays dont je ne connaissais rien et j’ai été intéressée par le tiraillement entre deux extrêmes culturels et par la mutation sociale qui y sont dépeints. Il est question, certes, de la Bulgarie de la fin du XIXème siècle, mais j’ai l’impression d’avoir appris quelques petites choses sur ce pays.

Enfin, avant de conclure, un mot sur la traduction, qui est nouvelle. Je ne me permettrais pas de juger de la fidélité au texte original, mais j’ai été étonnée par le parti-pris de la traductrice, qui a laissé beaucoup de mots en langue étrangère, avec des notes pour les expliquer ou un expliquer l’origine, de même que pour des mots traduits et qui, pour mon œil de novice, paraissent anodins, pour lesquels elle a jugé utile de mettre une note pour préciser le mot traduit et son origine. Je comprends cela pour mieux rendre le tiraillement entre deux cultures, je l’ai d’ailleurs perçu et cette volonté est indiquée dans la postface de la traductrice, c’est donc un pari réussi. Cependant, ces notes ont pour moi alourdi la lecture, et sont utiles surtout à un public plus averti que moi, et ayant probablement des connaissances linguistiques de cette partie du monde. Je signale ce fait car il faut y être prêt pour entamer cette lecture, mais il est loin d’être rédhibitoire et, me dit une drôle de petite mouche, cela donne un peu l’impression de rentrer par effraction dans une lecture de spécialiste qui ne m’est pas destinée. Jubilatoire quand on se fait régulièrement piquer par une mouche livresque…
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