Tu vois, comme souvent, rien n'est ni noir ni blanc, il n'y a que des nuances de gris.
Il ne faut jamais mentir aux enfants. On peut tout dire si on choisit bien ses mots.
La maladie mentale, c'est comme le diabète, la pneumonie, le cancer : un malheur qui peut arriver à tout le monde.
Si le terme "veuf" existe pour les personnes dans mon cas, ou celui d'"oprhelin" pour les enfants qui ont perdu un ou deux parents, pourquoi n'y a-t-il pas d'équivalent pour désigner un parent qui perd son enfant ? C'est si monstrueux que même les linguistes en perdent leur patois.
Je ne suis pas convaincu à cent pou cent qu'il existe un au-delà. Je doute toujours de tout, à plus forte raison de la vie éternelle. Mais je crois qu'il existe une forme d'énergie, quelque chose qui reste de nous.
Mais, outre la nausée, je crois que nous nous partagions le cancer. Il dévorait son corps et engloutissait mon âme.
En raison de son caractère irréversible, la mort agit ainsi sur ceux qui restent. Elle génère un sentiment de culpabilité posthume terrible, on songe à tous les mots qu'on n'aurait pas dû dire, aux gestes qu'on n'aurait pas dû accomplir et qu'aujourd'hui on voudrait effacer, aux disputes pour des broutilles qu'on voudrait oublier, à tous les instants dont on aurait pu profiter avec la personne aimée et qu'on a consacrés à des activités sans importance : une partie de tennis, un cinéma entre collègues, une balade en solo.
Un des moments difficiles, quand on apprend que soi-même ou l'un de nos proches est atteint d'une grave maladie, c'est de l'annoncer aux autres. À chaque appel, il faut recommencer à zéro ; chaque personne à qui l'on parle ravive la souffrance.
Comment annoncer à un étranger qu'un de ses proches va mourir ? Il n'existe pas de manière douce, car si nous savons tous que nous finirons un jour par partir, il n'est jamais agréable qu'on nous le rappelle.
La maladie mentale nous a avilis, Paolo le premier, puis nous, sa famille. Au début, nous avons cru pouvoir l'affronter par le dialogue, la persuasion, l'écoute. Mais quand la maladie prend le dessus, le découragement, la résignation, et, parfois, la honte, gagnent les proches. Je l'avoue, pendant des années, j'ai eu honte de Paolo. Je ne mentionnais pas son existence quand je parlais de ma famille. Puis j'ai appris à avoir honte de ma propre honte.