J’ai l’impression que le genre de
mentalité qui règne parmi les grands virtuoses — qui leur fait exécuter, par
exemple, cinq heures de gammes par jour, jour après jour — finit par tuer
une grande part de la joie qu’ils ressentent à faire de la musique. Et ceci est
nécessaire pour arriver à tenir le coup dans la compétition très forte qui
s’exerce entre virtuoses. Je crois qu’elle est à peu près du même type que la
compétition, parfois inconsciente, qu’il y a entre scientifiques. Compétition
qui fait que des gens que je connais, y compris moi-même parfois, passent
quinze heures de leur journée, jour après jour, pendant longtemps, à
essayer de développer des théorèmes mathématiques de plus en plus
sophistiqués, de plus en plus ésotériques. J’ai l’impression que ce type de
mentalité disparaîtra dans les générations qui viennent.