Les fêtes : Le type qui organise la soirée est un mariole mondain qui se prend pour un artiste et tout le monde va dans son sens parce que, vois-tu, ses fêtes sont sympas et qu'on y boit les meilleurs alcools de la ville… On raconte qu'il est gay, bi, tout ce que tu veux sauf hétéro parce qu'hétéro ça veut dire beauf, conformiste, conventionnel, bref petit-bourgeois et surtout faux révolutionnaire de salon, quelqu'un dans ton genre quoi...
Le désamour : Une séparation longue et douloureuse, couplée d'allers-retours à élasticité variable, de retrouvailles épuisantes ; et puis à nouveau la rupture, la douleur, l'échec de la vie en solo ; queue arrachée du lézard qui repousse, hydre ivre, drogue de l'autre dont on ne veut plus mais qui vous tient par le bout de chacune de vos cellules… jusqu'à ce que l'un des deux parvienne enfin à couper le cordon pour constater que ce n'est plus un enfant qui pendouille à l'autre bout mais un cadavre, un fantôme qui n'assumerait pas son absence.
La rencontre : Il y a une femme au comptoir : cheveux longs, roux, chèche bleu ciel à pois gris, veste cintrée et élégante, pantalon d'été, court et ourlé ; pour l'instant elle n'a pas de visage.
Il se lève, regarde autour de lui puis traverse le champ des têtes penchées.
Intimité du portable
Se dirige vers elle.
Quand nous nous sommes retrouvés à la sortie des cours pour fumer derrière le parking du lycée, le soleil patientait calmement sur un matelas de nuages. Je me sentais bien, en phase avec le monde. L’air était agréable, doux, il nous berçait tandis que Paco distribuait comme d’habitude les clopes roulées par ses soins pendant le cours d’éco. Le regard pointé vers le haut, chacun avait l’impression d’éprouver la même chose que son voisin, tous liés par l’écho de la lumière du jour, cette tendre harmonie élémentaire qui échappait pourtant à notre perception.
Nous avions grandi dans un petit patelin où tout semblait immobile, où les jours se succédaient sans réelle surprise, monotonie précieuse qui nous réconfortait durant notre enfance mais qui, depuis quelque temps, avait tendance à nous angoisser. Nous avions seize ans et étions en quête d’un truc que la vie ne pouvait pas nous apporter mais qui nous donnait malgré tout l’énergie de picoler et de danser, ivres sur les toits des maisons.
Ira Lengstrom avait commencé son parcours intellectuel en tant que disciple d’Otto Kugelblitz, le légendaire inventeur de la théorie de la récapitulation selon laquelle le cours d’une vie humaine balaye le spectre des troubles mentaux : le solipsisme de la
petite enfance, les hystéries sexuelles de l’adolescence, la paranoïa de la maturité, la démence de la vieillesse... le tout préparant le terrain pour la mort, qui se révèle être la « santé mentale ». Malgré son pessimisme, Kugelblitz était persuadé que l’humour devait secourir l’intelligence dans l’approfondissement des recherches scientifiques. Renvoyé dans les cordes par Freud lui-même, Otto Kugelblitz s’installa à New-York où il fonda, grâce à l’argent fourni par une armée de mécènes, une école très renommée qui lui permit de mourir riche et respecté.
Lynchage
La fin de son histoire d’amour s’inscrit donc à l’aune du monde moderne ; le singulier
s’ancre dans le collectif et voyage avec lui au sein d’une société dont l’avenir, on le
sait à présent, se jouera après la révolution technologique. Il voudrait que son ex revienne comme il souhaiterait que revienne le monde ancien, mais c’est trop tard, il n’a plus de repères, il doit se raccrocher à la nouveauté, pour survivre, pour endurer, pour continuer.
Broutille
Il regarde autour de lui. Quelques clients dans le bar. Le patron a la tête baissée sur son portable, les clients aussi. Il y a une femme au comptoir : cheveux longs, roux,
chèche bleu ciel à pois gris, veste cintrée et élégante, pantalon d’été, court et ourlé ; pour l’instant elle n’a pas de visage.