Et vous savez ce qui m’a sorti de l’impasse ? La lecture des actes judiciaires du XVII et des siècles précédents. Pendant les interrogatoires et les séances de torture, les officiers de justice notaient avec exactitude et concision les paroles des accusés. Tandis que le malheureux recevait le knout, souffrait sur le chevalet ou qu’on promenait sur lui un faisceau de branches enflammées, ce qui s’échappait de sa poitrine était une langue absolument dépouillée, qui lui sortait des tripes. Et ça, c’est une nouveauté fumante ! Voici déjà mille ans que les Russes parlent cette langue-là, mais aucun écrivain ne l’a encore utilisée. Tenez » – et il faisait tomber à la petite cuiller dans une soucoupe de verre le jus épais de la confiture d’abricots –, « c’est cet ambre transparent, c’est cette couleur et cette lumière inattendues qu’il faudrait pouvoir retrouver dans la langue littéraire. »
La confiture d'abricots