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Citation de candlemas


Plusieurs de mes amis parlementaires s’étaient réunis au mois d’octobre 1847 dans le but de s’entendre quant à la marche à suivre dans la session législative prochaine. Il fut convenu que nous publierions un programme sous forme de manifeste, et je fus chargé de ce travail (...) j’en extrais les phrases que voici :

« ... Le temps viendra où le pays se trouvera de nouveau partagé entre deux grands partis. La Révolution française, qui a aboli tous les privilèges et détruit tous les droits exclusifs, en a partout laissé subsister un, celui de la propriété. Il ne faut pas que les propriétaires se fassent illusion sur la force de leur situation, ni qu’ils s’imaginent que le droit de propriété est un rempart infranchissable parce que, nulle part jusqu’à présent, il n'a été franchi, car notre temps ne ressemble à aucun autre. Quand le droit de propriété n'était que l'origine et le fondement de beaucoup d'autres droits, il se défendait sans peine ou plutôt il n'était pas attaqué ; il formait alors comme le mur d'enceinte de la société dont tous les autres droits étaient les défenses avancées ; les coups ne portaient pas jusqu'à lui ; on ne cherchait même pas sérieusement à l'atteindre. Mais aujourd'hui que le droit de propriété n'apparaît plus que comme le dernier reste d'un monde aristocratique détruit, lorsqu'il demeure seul debout, privilège isolé au milieu d'une société nivelée, qu'il n'est plus à couvert derrière beaucoup d'autres droits plus contestables et plus haïs, il n'en est plus de même ; c'est à lui seul maintenant à soutenir chaque jour le choc direct et incessant des opinions démocratiques...

» ...Bientôt, ce sera entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas que s'établira la lutte politique ; le grand champ de bataille sera la propriété, et les principales questions de la politique rouleront sur des modifications plus ou moins profondes à apporter au droit des propriétaires. Nous reverrons alors les grandes agitations publiques et les grands partis.

» Comment les signes précurseurs de cet avenir ne frappent-ils pas tous les regards ? Croit-on que ce soit par hasard, par l'effet d'un caprice passager de l'esprit humain, qu'on voit apparaître de tous côtés ces doctrines singulières, qui portent des noms divers, mais qui toutes ont pour principal caractère la négation du droit de propriété, qui, toutes, du moins tendent à limiter, à amoindrir, à énerver son exercice ? Qui ne reconnaît là le dernier symptôme de cette vieille maladie démocratique du temps dont peut-être la crise approche ? »
(...)

« ...On dit qu'il n'y a point de péril, parce qu'il n'y a pas d'émeute ; on dit que, comme il n'y a pas de désordre matériel à la surface de la société, les révolutions sont loin de nous.

» Messieurs, permettez-moi de vous dire que je crois que vous vous trompez. Sans doute, le désordre n'est pas dans les faits, mais il est entré bien profondément dans les esprits. Regardez ce qui se passe au sein de ces classes ouvrières, qui, aujourd'hui, je le reconnais, sont tranquilles. Il est vrai qu'elles ne sont pas tourmentées par les passions politiques proprement dites, au même degré où elles en ont été tourmentées jadis ; mais, ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques, sont devenues sociales ? Ne voyez-vous pas qu'il se répand peu à peu dans leur sein des opinions, des idées, qui ne vont point seulement à renverser telles lois, tel ministère, tel gouvernement même, mais la société, à l'ébranler sur les bases sur lesquelles elle repose aujourd'hui ? N'écoutez-vous pas ce qui se dit tous les jours dans leur sein ? N'entendez-vous pas qu'on y répète sans cesse que tout ce qui se trouve au-dessus d'elles est incapable et indigne de les gouverner ; que la division des biens faite jusqu'à présent dans le monde est injuste ; que la propriété repose sur des bases qui ne sont pas les bases équitables ? Et ne croyez-vous pas que, quand de telles opinions prennent racine, quand elles se répandent d'une manière presque générale, que, quand elles descendent profondément dans les masses, qu'elles doivent amener tôt ou tard, je ne sais pas quand, je ne sais comment, mais qu'elles doivent amener tôt ou tard les révolutions les plus redoutables ?

» Telle est, messieurs, ma conviction profonde : je crois que nous nous endormons à l'heure qu'il est sur un volcan, j'en suis profondément convaincu...

» ...Je vous disais tout à l'heure que ce mal amènerait tôt ou tard, je ne sais comment, je ne sais d'où elles viendront, mais amènerait tôt ou tard les révolutions les plus graves dans ce pays : soyez-en convaincus.

» Lorsque j'arrive à rechercher dans les différents temps, dans les différentes époques, chez les différents peuples, quelle a été la cause efficace qui a amené la ruine des classes qui gouvernaient, je vois bien tel événement, tel homme, telle cause accidentelle ou superficielle, mais, croyez que la cause réelle, la cause efficace qui fait perdre aux hommes le pouvoir, c'est qu'ils sont devenus indignes de le porter.

» Songez, messieurs, à l'ancienne monarchie ; elle était plus forte que vous, plus forte par son origine ; elle s'appuyait mieux que vous sur d'anciens usages, sur de vieilles mœurs, sur d'antiques croyances ; elle était plus forte que vous, et, cependant, elle est tombée dans la poussière. Et pourquoi est-elle tombée ? Croyez-vous que ce soit par tel accident particulier ? pensez-vous que ce soit le fait de tel homme, le déficit, le serment du Jeu de Paume, La Fayette, Mirabeau ? Non, messieurs ; il y a une autre cause : c'est que la classe qui gouvernait alors était devenue, par son indifférence, par son égoïsme, par ses vices, incapable et indigne de gouverner.

» Voilà la véritable cause.

» Je parle ici sans amertume, je vous parle, je crois, même sans esprit de parti ; j'attaque des hommes contre lesquels je n'ai pas de colère, mais enfin, je suis obligé de dire à mon pays ce qui est ma conviction profonde et arrêtée. Eh bien ! ma conviction profonde et arrêtée, c'est que les mœurs publiques se dégradent ; c'est que la dégradation des mœurs publiques vous amènera dans un temps court, prochain peut-être, à des révolutions nouvelles. Est-ce donc que la vie des rois tient à des fils plus fermes et plus difficiles à briser que celle des autres hommes ? Est-ce que vous avez, à l'heure où nous sommes, la certitude d'un lendemain ? Est-ce que vous savez ce qui peut arriver en France d'ici à un an, à un mois, à un jour peut-être ? Vous l’ignorez ; mais, ce que vous savez, c’est que la tempête est à l’horizon, c’est qu’elle marche sur vous ; vous laisserez-vous prévenir par elle ?
(...)
Oui, le danger est grand ! Conjurez-le, quand il en est temps encore ; corrigez le mal par des moyens efficaces, non en l’attaquant dans ses symptômes, mais en lui-même. On a parlé de changements dans la législation. Je suis très porté à croire que ces changements sont non seulement très utiles, mais nécessaires : ainsi, je crois à l’utilité de la réforme électorale, à l’urgence de la réforme parlementaire ; mais, je ne suis pas assez insensé, messieurs, pour ne pas savoir que ce ne sont pas les lois elles-mêmes qui font la destinée des peuples ; non, ce n’est pas le mécanisme des lois qui produit les grands événements, messieurs, c’est l’esprit même du gouvernement. Gardez les lois, si vous voulez ; quoique je pense que vous ayez grand tort de le faire, gardez-les ; gardez même les hommes, si cela vous fait plaisir : je n’y fais, pour mon compte, aucun obstacle ; mais, pour Dieu, changez l’esprit du gouvernement, car, je vous le répète, cet esprit-là vous conduit à l’abîme. »
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