Les yeux rivés sur son écran d'ordinateur, il zigouillait mécaniquement du zombie depuis huit longues heures déjà. À peine avait-il pris le temps d'aller aux toilettes vers deux heures du matin. Son cerveau était passé en mode automatique et seuls ses doigts, frénétiques, bougeaient, tandis que le reste de son corps, amorphe, pesait de plus en plus lourd dans son fauteuil de bureau hors de prix, offert par l'un de ses sites partenaires. Ses yeux piquaient, sa gorge était irritée d'avoir trop crié et fumé et il avait beau la racler, il couinait désormais avec une drôle de voix éraillée.
Chaque jour elle se rongeait consciencieusement les ongles pour ne pas se blesser lorsqu'elle perdait le contrôle de ses mains, qui se transformaient parfois en deux entités totalement indépendantes et s'attaquaient à elle, pauvre petite chose sans défense.
Elle criait, se débattait, se cachait mais rien n'y faisait, les deux monstres finissaient toujours pas la rattraper. Sans souvenirs précis, elle avait d'abord suspecté les esprits de la maison, quels qu'ils soient : fantômes, elfe, farfadets ou autres spectres, avant d'accepter qu'elle souffrait d'hallucinations qui avaient parfois raison d'elle.
Elle s'avança maladroitement, la main tremblante. La poignée en porcelaine était glacée et elle la tourna doucement avant d'entrouvrir le battant. La pièce était plongée dans une obscurité des plus totales et elle dut se faire violence pour entrer. Il flottait dans l'air une odeur particulière qu'elle n'avait sentie nulle part ailleurs dans la maison. Sa lampe avait beau balayer la pièce, elle n'y trouvait pas la moindre fenêtre, pas la moindre petite ouverture par laquelle pouvait filtrer la lumière du jour. L'endroit ressemblait à une prison. Une prison avec deux lits jumeaux.
Il s'approcha d'elle en se demandant comment il allait procéder. La laisser mourir sur place lui semblait être le plus simple et le moins fatiguant. Un nouveau bâillon pour que personne ne l'entende, pareil pour son copain et il refermerait la cave avec le vaisselier. Il se pencha pour vérifier ses liens. Elle le suppliait de ses grands yeux mais n'osait plus parler.
— Mon application ne te proposera qu'une sélection de profils compatibles, reprit-elle. Et compatibles ne veut pas dire similaires, mais plutôt complémentaires. Je ne crois pas aux bêtises du genre, j’aime les nachos et le guacamole, toi aussi ? Marions-nous ! plaisanta-t-elle.
Mais je n’étais pas d’humeur rieuse.
— Ton temps est écoulé... grognai-je.
— Après une part de lasagnes et un tiramisu je pense qu'on peut t'appeler Leonardo, plaisantai-je.
— Comme Dicaprio ?
— Arrête, ma mère est amoureuse de lui depuis Titanic...
— Pas son meilleur si tu veux mon avis.
— Django ? avançai-je.
— The Revenant ? tenta-t-il.
— Shutter Island !
Nous avions tranché en cœur.
Il fallait agir vite. Vite, mais méthodiquement.
Même s'il s'était toujours préparé à en arriver là, il n'avait jamais envisagé ce scenario. Mais peu importe, il devait avant tout protéger ses arrières. Presque vingt ans qu'il trompait son monde, il en avait vu d'autres !
Elle avait besoin de se confronter au pire, au plus horrible, testant sa résistance et sa peur