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Citation de enkidu_


L'amour de Tierno Bokar pour les hommes dépassait largement le cadre de son groupe confessionnel, il s'étendait à l'ensemble du genre humain. Mieux, il débordait cet ensemble pour embrasser la création tout entière, jusqu'aux plus humbles des créatures de Dieu.

Un jour de cette année 1933 que je passai auprès de lui, il était assis dans la case où il devait mourir sept ans plus tard. S'adressant aux aînés de ses élèves, il développait la signification ésotérique du chapelet Tidjani. Nous étions tous sous le charme. A l'extérieur, le vent soufflait. Il faisait courir le sable dans la cour et retroussait les plumes du coq qui s'obstinait près du pilon. Une rafale plus violente ébranla la charpente. Sous le choc, un nid d'hirondelle, qui était situé en équilibre en haut du mur, sous l'avancée du toit, s'entrouvrit. Un poussin tomba en piaillant. Nous lui jetâmes un regard indifférent ; l'attention de l'auditoire n'avait pas faibli un instant. Tierno termina sa phrase, puis se tut. Il se dressa, promena un regard attristé sur ses élèves et tendit les doigts, qu'il avait longs et fins, vers le petit oiseau :

- Donnez-moi ce fils d'autrui.

Il le prit dans ses mains réunies en forme de coupe. Son regard s'éclaira :

- Louange à Dieu dont la grâce prévenante embrasse tous les êtres ! dit-il.

Puis, déposant l'oisillon, il se leva, prit une caisse et la posa au-dessous du nid. Il sortit et revint peu après. Entre ses doigts, nous vîmes une grosse aiguille et un fil de coton. Il monta sur la caisse, déposa le petit d'hirondelle au fond du nid qui s'était déchiré et répara celui-ci avec le même soin qu'il mettait autrefois à broder les boubous. Puis il redescendit et reprit sa place sur la natte. Nous attendions impatiemment la suite de sa leçon ; mais au lieu de reprendre le chapelet qui servait de base à ses explications, il le laissa de côté. Après un moment de silence, il s'adressa à nous :

« Il est nécessaire que je vous parle encore de la Charité, dit-il, car je suis peiné de voir qu'aucun de vous n'a suffisamment cette vraie bonté du cœur. Et cependant, quelle grâce ! ... Si vous aviez un cœur charitable, il vous eût été impossible d'écouter une leçon, portât-elle sur Dieu, quand un petit être misérable vous criait au secours. Vous n'avez pas été émus par ce désespoir, votre cœur n'a pas entendu cet appel ... Eh bien ! mes amis, en vérité, celui qui apprendrait par cœur toutes les théologies de toutes les confessions, s'il n'a pas de charité dans son cœur, il pourra considérer ses connaissances comme un bagage sans valeur. Nul ne jouira de la rencontre divine s'il n'a pas de charité au cœur. Sans elle, les cinq prières ne sont que des gesticulations sans importance ; sans elle, le pèlerinage est une promenade sans profit. »

La scène de ce jour-là s'est gravée à tout jamais dans ma mémoire. Je le revois encore, dressé dans son tourtil blanc, réparant délicatement la demeure de ce « fils d'autrui » dont nous n'avions pas su entendre l'appel, tout préoccupés que nous étions de nous-mêmes.

D'une manière générale, il nous enseignait de ne jamais tuer un animal sans nécessité, fût-ce un simple moustique. Pour lui, la nature entière, animaux et végétaux compris, devait être respectée car elle était non seulement notre Mère nourricière, mais encore le grand Livre divin où tout était symbole vivant et source d'enseignement. (pp. 160-162)
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